Tribune d’Agnès Tricoire, membre du Bureau national de la LDH, publié sur le site rue89.com
Le CSA n’a-t-il pas un rapport quelque peu curieux avec le respect du pluralisme dont la loi qui l’a créé lui fait pourtant obligation?
Prenons une radio associative, créée il y a maintenant vingt-six ans à Marseille par des jeunes issus de l’immigration: Radio Gazelle. Cette radio s’adressait à toutes les communautés de la région, leur donne la possibilité de s’exprimer, et affirmait « permettre à chacun de connaître et comprendre sa culture et de retrouver son identité ».
Sa programmation en différentes langues, en français et dans les langues des pays d’origine, était fondée sur deux axes, divertissements et émissions thématiques (problèmes de société, insécurité, logement, emploi…). Elle effectuait donc un travail d’information culturel et citoyen avec l’intervention de responsables politiques ou institutionnels, d’avocats, d’assistantes sociales, éducateurs, médecins.
Elle n’émet plus depuis le 7 février. Le CSA lui a préféré une radio commerciale nationale, France Maghreb 2, exclusivement ciblée sur le Maghreb. Non pas que l’existence de cette radio soit scandaleuse en soi. Mais le remplacement de l’une par l’autre pose un problème politique évident: au lieu de l’ouverture, et de la gratuité, c’est le repli, strictement conditionné à la rentabilité commerciale, qui a pris le pas. Au lieu de l’information, c’est le produit qui gagne, encore une fois.
Le Conseil d’Etat a demandé au CSA de réexaminer la demande de Radio Gazelle
Comment le CSA en est-il arrivé là? Il a pourtant l’obligation de respecter l’objectif prioritaire, dit la loi, de sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels, de la diversification des opérateurs, et doit veiller à ce qu’une part suffisante des fréquences soit attribuée à des radios associatives accomplissant une mission sociale de proximité.
Est-ce que le public a désavoué Radio Gazelle? Bien au contraire, elle est soutenue par 65 000 personnes, par la presque totalité des maires concernés, des députés, des sénateurs, des personnalités du monde économique, culturel et associatif (dont la Ligue des droits de l’homme, aux niveaux local et national).
Le CSA a été sévèrement jugé mi-mars par le Conseil d’Etat, qui lui a demandé de réexaminer la demande de cette association sous quinze jours.
Or la commission plénière, qui devait se réunir le 27 mars, a été annulée, selon le CSA. Que signifie ce soudain empressement à ne rien faire, et à ne pas répondre aux associations, qui s’inquiètent du sort du pluralisme de notre paysage audiovisuel?
Pas de réactions sur l’émission de téléréalité « tribale » d’Endemol
Le CSA avait déjà, comme haut fait d’arme, laissé passer une monstruosité sur France 2, en 2006. Une série d’émissions délicatement intitulée « Les caméléons », puis « Au bout du monde », produite par une filiale de la très altruiste Endemol. Il s’agissait d’un jeu de téléréalité organisé dans les tribus les plus éloignées, protégées par une convention de l’ONU.
L’idée d’envoyer des équipes de tournage et un groupe de candidats pour vivre la vie tribale de peuples autochtones d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, ne pouvait évidemment représenter un jeu que pour ceux qui en maîtrisaient les règles.
Le bon sauvage était prié de se plier au bon plaisir du Blanc, sans aucun moyen de compréhension ni de contrôle. France 2, saisie par la LDH, la Fédération internationale des droits de l’homme, Survival et la Société des réalisateurs de film, a renoncé à ce projet de cannibalisme audiovisuel, et le CSA, interpellé, n’a… rien dit.
Quelle est donc l’image que se fait le CSA de la diversité culturelle? Les « sages » ont-ils peur que les bons sauvages, lorsqu’ils ont émigré dans notre beau pays, ne deviennent des citoyens à part entière, capables de se prendre en charge, de se parler entre communautés, de débattre de sujets de société?
Ce n’est pas en regardant TF1 que l’on apprend le goût de l’autre
Le CSA fait-il confiance à ce point au discours commercial, donc publicitaire, pour former des citoyens? Plus généralement, qui peut sérieusement soutenir sans rire que TF1 a rempli sa mission de mieux-disant culturel? Et qu’a fait le CSA pour l’y contraindre?
La citoyenneté est en danger, si les cultures ne peuvent ni s’exprimer, ni échanger, ni apprendre les unes des autres. Et ce n’est pas en regardant TF1 que l’on apprend le goût de l’autre.
Ni malheureusement en regardant la plupart des téléfilms produits par la télévision publique. Entre les clichés indécrottables et le formatage du politiquement correct que l’on impose aux auteurs, plus rien ne se dit, ne s’exprime, ne donne à voir et à sentir, à réfléchir, sur le rapport à l’altérité.
La responsabilité du CSA est immense, et il en va de l’honneur de cette autorité indépendante de revenir au respect de la loi, et des grands principes républicains.
Lien vers la tribune sur le site rue89.com.
Paris, le 3 avril 2008.