Tribune de Nathalie Tehio, présidente de la LDH
Les premiers moments de Donald Trump au pouvoir attestent d’une volonté de prise de pouvoir autoritaire, avec une planification des mesures les plus liberticides, xénophobes et transphobes. Le président s’attaque directement au récit des faits, à la science, fait et défait de nouvelles alliances internationales. Il encourage Elon Musk à aspirer les données personnelles des Américains à travers son accès au Trésor et autres administrations… Il crée un effet de sidération tout en prenant des mesures destinées à focaliser l’attention. Ainsi celle sur le retour aux pailles en plastique, signe du mépris dans lequel il tient la protection de l’environnement, est prise le même jour que la fin de l’interdiction pour les entreprises américaines de pratiquer la corruption d’agents étrangers…
Ce qui se passe sous nos yeux outre-Atlantique permet d’appréhender ce qui est directement attaqué lorsque des idéologues d’extrême-droite (ici se revendiquant techno-libertariens) arrivent au pouvoir. Les dirigeants européens tels Victor Orban ou Georgia Meloni n’ont certes pas eu la même tactique, en choisissant de s’attaquer aux droits et libertés par « tranches ». Mais le projet est bien le même.
En France, même si l’extrême droite n’est pas au pouvoir, l’exécutif s’est lancé dans une avalanche de lois liberticides, sous couvert d’assurer notre « sécurité ». Elle est même indûment parée du terme de « sûreté » dans la proposition de loi « sûreté dans les transports » alors que ce terme correspond dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 à la protection de chacun contre l’arbitraire de l’Etat.
L’argumentaire s’est fait plus sommaire et plus brutal qu’à l’accoutumée : le terrorisme ne suffit plus, on invoque donc le « narcotrafic » pour légiférer. Ce terme, choisi à dessein pour effrayer et sidérer, renvoie à l’imaginaire de Pablo Escobar ou de la corruption au Mexique et bloque toute réflexion sur les mesures qui sont, effectivement, à prendre dans ce domaine.
De fait, si la proposition de loi ne cible que les trafiquants, la communication mélange la lutte contre la consommation de stupéfiants et celle contre le trafic. Elle oublie les aspects essentiels de prévention et d’accompagnement… Il est certain que le ciblage des usagers est simple et permet de belles images de « Place nette ». Mais le résultat est nul ou pire, désorganise les instructions en cours. Le travail policier, toujours sous le diktat de « la politique du chiffre », est orienté vers le simple usage de drogues, puisque son constat aboutit à la résolution immédiate d’une affaire[1], au détriment du démantèlement de réseaux. La proposition de loi prévoit aussi la possibilité d’expulser d’un logement social une famille dont un des enfants est lié à une affaire de stupéfiants : comme si la paupérisation de familles allait permettre de lutter contre le grand banditisme !
Le Haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU a demandé aux Etats d’arrêter « la guerre à la drogue » car cette politique est sans aucun résultat ni en termes de santé publique ni sur le trafic. Pire, elle stigmatise certaines populations. En France, ce sont les jeunes hommes noirs ou arabes de quartiers populaires qui sont ainsi ciblés, alors que les enquêtes sur une classe d’âge montrent que toutes les couches sociales sont touchées par la consommation de stupéfiants, sans distinction de couleur de peau.
À l’opposé de ces lubies démagogiques, la LDH a participé à la rédaction, au sein du Collectif pour une nouvelle politique des drogues (CNPD), d’une loi pour la dépénalisation du simple usage de stupéfiants, dont se sont inspirés des parlementaires pour déposer leurs propositions. L’exemple de pays voisins ayant dépénalisé l’usage, comme le Portugal, montre qu’on peut passer d’un problème sérieux de consommation d’héroïne à une baisse spectaculaire. La LDH porte également une demande de légalisation du cannabis, drogue la plus consommée en France, afin de contrôler le taux de THC, de réduire le trafic et de permettre une réelle politique de prévention (objectif de l’Allemagne, qui vient de franchir le pas, du Québec…). Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a rendu un rapport en ce sens en 2023, et la mission d’information de la Commission des lois de l’Assemblée nationale a également recommandé cette mesure, dans son rapport du 17 février dernier. Il est plus que temps de faire de la prévention, car la France est le pays d’Europe le plus répressif mais où la consommation de drogues des jeunes est une des plus importantes, ce qui démontre que la politique de prohibition menée depuis la loi de 1970 est un échec. La petite ouverture de légalisation de l’usage de cannabis dans un but thérapeutique se referme, sans solution alternative pour les patients, par pure idéologie punitive. Si l’objectif est la protection de la santé publique, il faut pérenniser d’urgence, au-delà du délai prévu (fin 2025), les deux « haltes soin addiction » existantes (Paris et Strasbourg) dont le rapport de 2023 de l’Inserm comme le récent rapport de l’inspection générale de l’administration démontrent l’utilité, et de les développer sur tout le territoire, tant le besoin est criant.
La communication sur le « narcotrafic » a ceci de pernicieux qu’elle bloque toute avancée sur le sujet – pourtant distinct – de la prise en charge de l’addiction. Mais cela ne s’arrête pas là : elle est utilisée pour revenir sur des acquis fondamentaux de toute démocratie libérale et sur l’Etat de droit.
C’est ainsi que le libre choix de l’avocat est remis en cause, ou l’exercice des droits de la défense, ainsi que le principe du contradictoire : il est prévu un dossier « coffre » non accessible à la défense. La preuve par témoignage anonyme est favorisée, comme le système des « repentis », de même que des techniques extrêmement intrusives dans la vie privée, comme le déclenchement de tout appareil de communication portable (téléphone, tablette, ordinateur) à distance, permettant l’espionnage de la personne concernée ainsi que de son entourage.
Ces pouvoirs ne sont pas réservés au stade de l’instruction où des garanties, notamment l’exercice de droits de la défense, sont prévues : le parquet diligente l’enquête, sans intervention d’un avocat, sans consultation du dossier, sans garantie autre que le simple coup de tampon du juge des libertés et de la détention pour tout acte intrusif dans la vie privée. La LDH avait rappelé en 2021 sa dénonciation de cette dérive procédurale à l’œuvre depuis vingt ans lors des états généraux de la justice. Et il est prévu une loi organique pour créer un parquet national, ce qui ne peut qu’inquiéter quand on sait que les procureurs sont toujours hiérarchiquement dépendants du ministre de la Justice.
Rien sur la mixité sociale ou la rénovation de quartiers, sur le déploiement d’une vraie politique en direction des jeunes (salles de réunion, terrains de jeux, éducateurs de rue, moyens à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)…). Rien contre la réforme de la police judiciaire intervenue il y a un an et qui a démantelé les services travaillant précisément sur les trafics avec des enquêtes au long cours. La lutte contre la corruption ou le blanchiment reste le parent pauvre de la répression. La Cour des comptes vient de pointer le manque de moyens concrets de l’office central anti-stupéfiants (Ofast)… Les constats alarmants d’assassinats liés au trafic de stupéfiants ne reçoivent pas les réponses adéquates.
Un autre exemple de loi liberticide, la loi sûreté dans les transports, qui étend les pouvoirs des agents de sécurité de la RATP et de la SNCF : pouvoir d’agir dans l’espace public aux abords des gares et des stations, de palpation sans le consentement de la personne et sans habilitation, d’interdiction d’accès à la gare, de verbalisation pour des délits… La surveillance numérique de la population continue de s’étendre, menaçant la liberté d’aller et de venir anonymement.
Il n’est plus qu’à espérer que le Conseil constitutionnel exercera un contrôle entier au regard de l’exigence constitutionnelle d’une force publique, et du contrôle nécessaire de l’autorité judiciaire…
Chaque régression des libertés accoutume à une moindre résistance à l’arbitraire, et on ne peut que s’inquiéter du discours légitimant l’abandon de droits fondamentaux par la recherche illusoire de sécurité, ce que promettait déjà la loi Perben II de 2004 contre la délinquance organisée.
On pourrait penser que ces régressions n’ont pas un impact trop important sur l’Etat de droit : mais il n’est pas si consolidé pour ne pas craindre les effets de ces lois. Ainsi, la séquence de nomination de Richard Ferrand, proche d’Emmanuel Macron, a rappelé que les membres du Conseil constitutionnel sont des responsables politiques et non des magistrats.
Si l’on veut se prémunir d’attaques massives à la Orban ou à la Trump contre l’Etat de droit, il faut de toute urgence renforcer les contre-pouvoirs, notamment en confortant et en renforçant l’indépendance des juges. Il faut empêcher la concentration des médias, protéger davantage le secret des sources des journalistes, rendre les comités de rédaction plus indépendants, imposer la modération dans les réseaux sociaux car les discours de haine raciale ou transphobes sont des délits.
Non seulement ce n’est pas le chemin emprunté, mais on voit les politiques néo-libérales laminer ceux dont la vocation est d’empêcher le prêt-à-penser, le secteur culturel ou les universités, pendant que les subventions aux acteurs de la solidarité sont coupées.
Dans ce contexte, il nous faut résister avec détermination face à la montée de l’antisémitisme et du racisme, attisée par la désignation de boucs émissaires (la « submersion migratoire »), du masculinisme et du virilisme prôné par les extrêmes droites les plus radicales. C’est le sens des mobilisations qui vont se tenir le 8 mars ou à l’occasion du 21 mars, journée internationale de lutte contre le racisme.
Jamais nos mobilisations pour la liberté, pour l’égalité de toutes et tous, pour la solidarité n’ont été aussi nécessaires.
Nathalie Tehio, présidente de la LDH
[1] Encore plus en cas d’amende forfaitaire délictuelle, contre laquelle la LDH et le CNPD se sont exprimés. Voir https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2018/11/Livre-blanc_drogues.pdf