Tribune signée par Patrick Baudouin, président de la LDH
Alors que le président de la République avait annoncé en juin un « choc de financement public » à l’égard des pays les plus vulnérables au changement climatique, le gouvernement a décidé de geler ses efforts de solidarité en 2024 et repoussé de cinq ans l’augmentation de l’aide publique au développement, dénoncent, dans une tribune au Monde, dix-sept responsables d’organisations humanitaires françaises.
« Les inégalités augmentent, la vulnérabilité climatique ajoute encore aux risques et notre monde est soumis à des chocs de plus en plus grands. » Voilà les mots par lesquels s’ouvrait le sommet pour un nouveau pacte financier mondial les 22 et 23 juin 2023. Emmanuel Macron conviait le monde entier à Paris pour élaborer des solutions durables contre l’extrême pauvreté et pour faire face aux défis des changements climatiques. « Nous devons assumer un choc de financement public », annonçait le président français.
Quelques semaines à peine plus tard, le gouvernement français actait, dans la plus grande confidentialité, un recul sans précédent des engagements de la France pour la solidarité internationale, gelant ses efforts de solidarité pour 2024, et surtout reportant à 2030 l’éventuelle atteinte des 0,7 % du RNB consacrés à l’aide publique au développement : une échéance qui n’engagera plus Emmanuel Macron, ni probablement d’ailleurs la personne qui lui succédera.
Pourtant, la loi du 4 août 2021 affichait la volonté du gouvernement de consacrer 0,7 % de la richesse nationale à l’aide internationale, chaque année, dès 2025. Une promesse qui avait été faite par la France aux pays les plus pauvres dès 1970, sans jamais être respectée, et qui devra attendre cinq ans de plus.
L’aide publique au développement continue de stagner
Derrière ces pourcentages, ce sont au bas mot 11 milliards d’euros qui ne seront pas disponibles pour apporter une aide cruciale aux populations les plus vulnérables, que ce soit pour leur accès aux soins, à l’eau, à l’éducation, pour faire face aux défis des changements climatiques, ou pour répondre aux situations de crises humanitaires.
Et si l’aide publique au développement continue de stagner comme le budget 2024 le prévoit, ce sont plus de 28 milliards d’euros qui manqueront à la coopération internationale d’ici à 2030. A titre de comparaison, les pays de la Corne de l’Afrique (le Soudan du Sud, la Somalie, l’Ethiopie et le Kenya) ont besoin de 9,1 milliards d’euros en 2023 pour faire face à la pire crise alimentaire depuis 1945, largement due à une sécheresse historique fortement aggravée par la crise climatique.
Revenir sur l’objectif des 0,7 % est d’autant plus déplorable que cet engagement n’est pas une question de charité, mais de justice. Dans un monde de profusion, les pays du G7 et la Russie sont à eux seuls responsables de 85 % des émissions mondiales depuis 1850, soit 850 fois les émissions du Kenya, de l’Éthiopie, de la Somalie et du Soudan du Sud réunis.
La crédibilité de la France en jeu
Dans un monde où les risques sanitaires, les conséquences de la pauvreté et les menaces liées aux changements climatiques sont majeurs, c’est la relation de la France au monde et notamment à l’Afrique qui est en jeu. Considérer la coopération internationale au seul prisme des intérêts français ou comme un enjeu de communication pure serait une grave erreur.
La France peut demeurer fidèle à ses engagements, mais également revoir ses priorités en plaçant l’accent sur les services sociaux de base et la lutte contre le changement climatique. Il y va de la crédibilité de la France sur la scène internationale et de l’avenir du pacte de Paris pour les peuples et la planète.
Nous appelons Emmanuel Macron à revenir sur ce renoncement au risque de contredire ses propos lors du sommet : « Jamais aucun décideur, aucun pays ne doit choisir entre la réduction de la pauvreté et la protection de la planète. »
Les signataires de la tribune : Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Patrick Bertrand, directeur exécutif Action santé mondiale ; Serge Breysse, directeur général de Solthis ; Olivier Bruyeron, président de Coordination Sud ; Emanuela Croce, codirectrice générale de CARE France ; Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France ; Aïcha Koraïchi, présidente d’Action contre la faim ; Rachid Lahlou, président fondateur du Secours islamique France ; Sandra Métayer, coordinatrice de la Coalition eau ; Alexandre Morel, codirecteur général de CARE France ; Léa Rambaud, coordinatrice de la Coalition éducation ; Marie-Noëlle Reboulet, présidente du Geres ; Friederike Röder, vice-présidente plaidoyer Global Citizen ; Camille Spire, présidente d’Aides ; Mackendie Toupuissant, président du Forim ; Florence Thune, directrice générale de Sidaction ; Najat Vallaud-Belkacem, directrice de l’ONG ONE.