Lettre commune LDH/FIDH
Le projet de loi qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale s’inscrit dans un processus qui, depuis trois ans, isole les ressortissants des pays étrangers, et notamment des anciennes colonies de la France et réduit leurs droits. De plus, c’est le statut même des étrangers en situation régulière qui a été fragilisé au bénéfice, sans cesse renforcé, d’un arbitraire de l’Etat. Les dernières dispositions proposées exposent très clairement que la France s’appropriera les personnes les plus formées selon ses besoins, et uniquement selon ses besoins.
On ne peut exprimer plus crûment une volonté impériale qui réaffirme la primauté de la force sur le droit.
En durcissant considérablement le droit de vivre en famille, en rabotant les possibilités d’intégration, en créant de nouvelles situations inextricables qui ne feront que renforcer le nombre de personnes sans papiers mais non expulsables, en restreignant la possibilité de se marier entre français et étrangers (même européens), la loi présentée par le Ministre de l’Intérieur ne fait que flatter une xénophobie et un racisme dont l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme montre l’impressionnante progression.
La logique intrinsèque de telles dispositions, c’est de désigner l’Autre, celui qui n’a pas l’apparence d’un « Français » comme un fraudeur et le responsable des maux qui atteignent notre société. Ce sont les mêmes hommes politiques qui ont ainsi cru devoir expliquer la crise sociale des banlieues par la polygamie et l’immigration.
Et cette folle logique ne peut que conduire aux pires représentations. Les enfants étrangers scolarisés en France sont donc devenus, à entendre le Ministre de l’Intérieur, une « filière ». Ce ne sont plus, des familles, des gamins ou des adolescents, ce sont des réseaux assimilés à des bandes criminelles alors qu’ils ne sont coupables que de vouloir vivre. Que pensent, Monsieur le Président, des enfants lorsque des membres des forces de l’ordre viennent se saisir de leurs camarades parce qu’ils sont dénués de papiers ? Comment, dans ces conditions, désapprouver ceux et celles qui, en France, au nom de principes internationalement reconnus et admis, ont décidé de refuser ce déni d’Humanité et de restituer à ces enfants, à ces jeunes, leur existence en les protégeant, fût-ce en violant la loi ?
La portée inique de ce projet est perçue comme telle par tous les partenaires de la France et en particulier les pays d’émigration dont plusieurs de nos organisations sont issues. Les récentes manifestations auxquelles a donné lieu un déplacement du Ministre de l’Intérieur en sont un premier symptôme. Il y en aura d’autres. Si l’on peut croire, avec un certain cynisme, que la distribution d’aides suffira à estomper ces protestations, c’est oublier qu’être traité de cette manière laissera des traces profondes chez tous les peuples.
Aucun de ces peuples n’oubliera le mépris dont il est l’objet pas plus qu’il n’oubliera qu’il est devenu un instrument dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.
Vous le comprenez, c’est notre indignation et notre révolte que nous vous exprimons. Nous en appelons à votre autorité et à votre conscience afin que ce projet soit retiré et qu’un réel débat démocratique puisse avoir lieu sur ce sujet.
Pour notre part, nous mettrons tout en œuvre pour porter assistance aux victimes de cette politique. Nous serons aussi présents dans tous les forums internationaux pour rappeler à la France qu’elle ne peut tout à la fois porter l’image de la « patrie des droits de l’Homme » et instituer des lois et des pratiques qui les méprisent aussi évidemment.
C’est pourquoi, nous vous demandons d’ores et déjà, en même temps que le retrait de ce texte, que la France ratifie la Convention internationale sur le droit des travailleurs Migrants et de leurs familles.
Vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de notre haute considération.
Jean-Pierre Dubois,
Président de la ligue française des droits de l’Homme
Sidiki Kaba,
Président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme