Le texte de Jean-Pierre Azéma publié dans Libération du 10 mai, au nom de membres de l’association Liberté pour l’histoire, apporte de nouveaux éléments au débat sur les lois et l’histoire relancé par la proposition de pénaliser la négation du génocide arménien. Sur plusieurs points, il paraît témoigner d’une évolution par rapport à l’appel paru dans Libération du 13 décembre 2005, dont semblait émaner une demande d’abrogation globale des lois Gayssot, Taubira et sur le génocide arménien. Lancé en plein débat sur l’article 4 de la loi sur la colonisation du 23 février 2005, il mettait sur le même plan des lois de nature très différente et apparaissait à la fois comme précipité et non dénué d’arrière-pensées. Jean-Pierre Azéma nous dit que les signataires de cet appel menaient aussi campagne contre l’article 4 de la «loi Mekachera» sur «l’oeuvre positive» de la colonisation, qui a été «déclassé» depuis. A notre connaissance, seuls deux des dix-neuf signataires, Pierre Vidal-Naquet et Marc Ferro, lui avaient exprimé leur opposition. Mais d’autres pouvaient lui être hostiles sans avoir eu l’occasion de le dire, ce qui semble être le cas de Jean-Pierre Azéma. Dont acte, et félicitons-nous à l’idée que d’autres s’y opposaient aussi. Mais certains signataires, tels René Rémond et Françoise Chandernagor, ont dit et répété qu’ils avaient refusé de s’opposer à cet article 4 sur «l’oeuvre positive» de la colonisation car il ne suscitait pas davantage leur rejet que les trois autres lois mémorielles qu’étaient les lois Gayssot, Taubira et sur le génocide arménien. René Rémond n’a cessé de dire qu’il avait refusé de signer un texte contre cet article car «c’eût été un choix politique» (l’Histoire, n° 306, p. 84, et Quand l’Etat se mêle de l’histoire, Stock, p. 43). Et Françoise Chandernagor a même écrit dans l’Histoire (n° 306, p. 79) que l’objet de l’appel «Liberté pour l’histoire» était de contrer les efforts de ceux qui voulaient faire abroger l’article 4 de la loi sur la colonisation et qu’il a été publié à la hâte car il fallait faire vite. Mais, au-delà de ce qui semble apparaître comme des divergences parmi les «dix-neuf», saluons le fait que Jean-Pierre Azéma affirme : «Nous participions aussi à la campagne visant à obtenir l’abrogation de l’article 4 de la loi dite Mekachera.» Jean-Pierre Azéma s’oppose au projet de loi cherchant à pénaliser la négation du génocide arménien. Beaucoup de ceux qui défendent la loi du 29 janvier 2001 par laquelle la France reconnaît le génocide arménien (à la différence de l’appel «Liberté pour l’histoire», qui en demandait l’abrogation) le rejoignent sur ce point. C’est la position que j’ai défendue lors de la rencontre «Amnésie internationale» organisée par la Jeunesse arménienne de France à Marseille, le 11 mars : défense résolue de la loi de reconnaissance du génocide arménien, du 29 janvier 2001, mais opposition à une nouvelle «loi Gayssot» sur ce point. Notamment car cette question est, malheureusement, moins bien documentée historiquement (les obstacles opposés par la Turquie à l’accès aux archives y sont pour beaucoup), d’où la nécessité d’un large débat. Et elle ne pose pas, à mon sens, les mêmes problèmes spécifiques relatifs au maintien de l’ordre public que nous impose la nécessité de réagir à cet avatar de l’appel à la haine antisémite bimillénaire qu’est la négation de On note que Jean-Pierre Azéma s’oppose au déclassement de l’article de On note aussi que Jean-Pierre Azéma écrit que l’histoire n’appartient pas aux historiens mais qu’elle est le bien de tous. La représentation nationale ne se voit plus interdire, semble-t-il, le principe de lois historiques et mémorielles, comme pouvait le laisser entendre le texte du 13 décembre. Il invoque, une fois de plus, ce qu’avait écrit Madeleine Rebérioux : «La loi ne saurait dire le vrai. Le concept même de vérité historique récuse l’autorité étatique. L’expérience de l’Union soviétique devrait suffire en ce domaine.» Le rappel de ce principe est utile, mais il ne suffit pas à fonder la demande d’abrogation en 2006 de l’article de Mais l’essentiel est que Jean-Pierre Azéma tend à ne plus demander l’abrogation des dispositions essentielles des lois Gayssot, Taubira et sur le génocide arménien, mais semble plutôt vouloir dire stop à tout ajout de lois sur l’histoire, qu’il s’agisse de celle qui voudrait créer un délit de négation du génocide arménien, ou de celle qui viserait au déclassement de dispositions d’une loi existante, comme Sur une telle position qui revient à dire : «Stop aux nouvelles lois sur l’histoire, qu’elles soient des ajouts ou des retraits», un large consensus semble possible. Car les lois Gayssot, Taubira et sur le génocide arménien présentent sûrement des défauts et des risques le mérite de l’appel est de l’avoir souligné mais chacune a aussi répondu à des demandes légitimes et rempli des fonctions essentielles. Le plus sage n’est-il pas à la fois de refuser qu’on leur en ajoute d’autres et qu’on cherche à les abolir ou à les modifier ?