Tribune collective signée par Nathalie Tehio, présidente de la LDH
A quelques jours de l’ouverture du procès relatif à l’effondrement, en 2018, de deux immeubles à Marseille, les membres du Collectif du 5 novembre appellent à se mobiliser contre le mal-logement, dans une tribune au Monde.
Que s’est-il passé à Marseille le 5 novembre 2018 ? L’effondrement de deux immeubles, dans la très populaire et centrale rue d’Aubagne, a provoqué une onde de choc dans la deuxième ville de France et des marches importantes ont rassemblé les Marseillais et les Marseillaises, bien au-delà des frontières urbaines et sociales qui fragmentent la ville.
Les huit personnes victimes de ce drame restent pour les Marseillais les victimes de trop, la marque indélébile de la déliquescence de la gestion municipale sous l’ère Gaudin [Jean-Claude Gaudin (1939-2024), maire de Marseille de 1995 à 2020]. Si certaines mémoires s’effilochent, le problème de l’habitat indigne, lui, est toujours là.
Six ans et deux jours après, le procès des mis en cause s’ouvrira le 7 novembre et durera six semaines avec, sur le banc des accusés, un panel très significatif de la « systémie » du mal-logement : propriétaires indignes, bailleur social, élu de la ville, syndic, expert… Nous, acteurs et actrices de la lutte pour un logement digne, la justice sociale et l’écologie populaire, en France et en Europe, nous nous tiendrons aux côtés des familles de victimes et des Marseillais mobilisés ces prochaines semaines pour réclamer justice et dignité.
De nombreux médias et responsables politiques de l’époque et d’aujourd’hui ont tenté de faire croire à une situation « particulière » à la cité phocéenne. Le procédé est classique mais fallacieux : la soi-prétendue exagération méditerranéenne ne masque que bien mal ce que les faits n’ont pas tardé à rappeler : l’indignité du logement est un problème aux multiples facettes, répandu dans la France entière.
Dégradation lente mais sûre
En 2022, l’effondrement de Lille faisait à nouveau un mort, et d’autres, à Bordeaux ou Toulouse par exemple, nous alertaient du danger, heureusement sans faire de victimes. L’incendie de Vaulx-en-Velin, avec ses dix morts, en 2022, pour ne citer que celui-ci, viendra encore une fois plonger des centaines de voisins et de proches dans le deuil.
A ces événements spectaculaires, il faut ajouter la dégradation lente mais sûre d’habitats anciens ou semi-récents, privés ou sociaux, dont l’insalubrité détruit à petit feu la santé des occupants. En France, selon la Fondation Abbé Pierre, il existerait 600 000 logements et 1,3 million de personnes directement concernés par l’habitat indigne (l’insécurité, l’insalubrité, l’inconfort…), 4,1 millions de personnes qui seraient plus globalement mal logées ou non logées, 12 millions vivant en situation de précarité énergétique…
Les situations ailleurs en Europe font enfin écho à celle de la France : 19,2 millions de personnes vivent dans un habitat indigne, selon Eurostat, et, d’après l’Organisation mondiale de la santé, l’insalubrité des logements entraîne plus de 100 000 décès chaque année en Europe.
Plus les loyers et la précarité grimpent, plus des propriétaires indignes en profitent pour exploiter la misère ; plus l’inaction politique continue, plus le problème est mis sous le tapis ; plus la justice souffre, plus les marchands de sommeil sont tranquilles ; plus les personnes étrangères voient leurs droits bafoués, plus les réseaux criminels profitent de la situation ; plus les inégalités salariales perdurent, plus le service public dysfonctionne, plus les mères isolées se retrouvent en difficulté ; plus le dérèglement climatique se fait sentir, plus nos habitats se révèlent insuffisamment entretenus pour nous protéger : l’habitat indigne fonctionne ainsi comme un révélateur de notre incapacité à assurer à chacun l’accès à une vie digne.
Permettre à chacun de se loger
Nous ne manquons pourtant pas de propositions. Les associations et collectifs marseillais ont par exemple rédigé une « proposition citoyenne de loi “rue d’Aubagne” » pour mettre leur expérience au pot commun de la nation : protection des habitants, mécanismes de contrôle et d’anticipation, aide aux petits propriétaires, nouveaux outils administratifs et judiciaires… Nous plaidons par ailleurs de longue date pour une régulation importante du marché et la création de nouveaux logements sociaux, afin de permettre à chacun de se loger.
Si quelques efforts obtenus par nos organisations peuvent être soulignés, tel que le subventionnement de la rénovation énergétique ou le renforcement des peines contre les marchands de sommeil, les précédents gouvernements sont depuis trop longtemps restés immobiles. L’Etat laisse ainsi les collectivités territoriales seules sur le front de l’habitat indigne, avec des résultats mitigés selon leur volonté politique et leurs moyens.
De haute lutte, les mobilisations populaires marseillaises qui ont fait suite au drame de la rue d’Aubagne ont prouvé qu’il était possible d’arracher certaines victoires : protection des habitants délogés, plan de rénovation, mise en œuvre du permis de louer… Il n’y a donc pas de fatalité : l’entraide mise en place entre citoyens et leur intelligence collective ont fait avancer les choses.
Signataires : Nathalie Bazire, secrétaire confédérale de la CGT chargée des politiques publiques ; Amel Doghmane, présidente de l’Alliance citoyenne – Justice ensemble ; René Dutrey, secrétaire général du Haut Comité pour le droit au logement ; Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement ; Thibault Godin, porte-parole d’Alda – Pays basque ; Robert Guédiguian, cinéaste ; Murielle Guilbert et Julie Ferrua, codéléguées de l’Union syndicale Solidaires ; Pedro Martin Heras, membre de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca (Espagne) ; Valérie Manteau, écrivaine ; Mohamed Mechmache, coprésident de la Coordination Pas sans nous ; Stela Muci, membre de l’European Action Coalition for the Right to Housing and to the City ; Philippe Pujol, journaliste, réalisateur ; Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Benoît Teste, secrétaire général de la FSU ; Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac France.