9 février 2007 Une faille juridique enraye le dispositif d’éloignement des étrangers – Les associations saisissent le Conseil d’État

Communiqué commun ADDE, GISTI, LDH

Le 12 février 2007 à 14h00 le juge des référés du Conseil d’Etat se prononcera sur la demande de suspension d’une circulaire du 22 décembre 2006 visant à remédier à une faille juridique du dispositif d’éloignement des étrangers. Trois associations ont présenté ce recours, l’ADDE, le Gisti et la LDH.

La loi du 24 juillet 2006 a mis en place une nouvelle mesure d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, l’obligation de quitter le territoire français (« OQTF »), qui regroupe l’invitation à quitter le territoire français (« IQTF ») et l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière notifié par voie postale (« APRF postal »).

Ce dispositif est entré en vigueur le 29 décembre 2006, date de la publication au Journal officiel du décret le mettant en œuvre.

Par souci de cohérence, la loi a prévu qu’à compter de cette même date, il ne serait plus possible de prendre des arrêtés de reconduite à la frontière à l’encontre des étrangers faisant l’objet d’un refus ou d’un retrait de titre de séjour.

Mais la loi n’a prévu aucun mécanisme transitoire. Par conséquent, les étrangers qui se sont vu opposer un refus de séjour avant le 29 décembre ne peuvent plus faire l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière. Ils ne peuvent pas non plus être destinataires de la nouvelle OQTF puisque celle-ci doit être prise en même temps que la décision de refus de séjour.

Cette faille juridique, remarquée par les associations [1], met à mal le nouveau dispositif d’éloignement des étrangers. Elle rend impossible la reconduite des étrangers dont le retrait ou le refus de séjour est antérieur au 29 décembre et qui n’ont pas fait l’objet avant cette date d’une reconduite à la frontière.

Les uns après les autres, les tribunaux administratifs appliquent cette argumentation et annulent les reconduites à la frontière fondées sur les dispositions abrogées.

Une telle faille risque de faire échouer les objectifs chiffrés fixés par le ministre de l’Intérieur en matière de reconduite à la frontière. On comprend dès lors que le ministère ait tenté de prévenir l’hécatombe. Dès le 22 décembre [2], avant même la parution du décret, il proposait par circulaire une interprétation byzantine de la loi, visant à valider les arrêtés de reconduite à la frontière pris à l’encontre des étrangers ayant fait l’objet d’un refus de séjour avant le 29 décembre.

Pour justifier la cohérence de sa politique, le ministre de l’Intérieur n’hésite pas à bousculer les dispositions sans équivoque de la loi adoptée par le Parlement.

Paris, le 9 février 2007

ADDE (Avocats pour la Défense du Droit des Etrangers)

GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés)

LDH (Ligue des droits de l’homme)

Annexe

L’article L 511-1 du CESEDA dispose que :

« I. – L’autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, pour un motif autre que l’existence d’une menace à l’ordre public, peut assortir sa décision d’une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé s’il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa.

La même autorité peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse à quitter le territoire français lorsqu’elle constate qu’il ne justifie plus d’aucun droit au séjour tel que prévu par l’article L 121-1. L’étranger dispose, pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d’un délai d’un mois à compter de sa notification. Passé ce délai, cette obligation peut être exécutée d’office par l’administration. Les dispositions du titre V du présent livre peuvent être appliquées à l’étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français dès l’expiration du délai prévu à l’alinéa précédent. L’étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français peut solliciter le dispositif d’aide au retour financé par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations, sauf s’il a été placé en rétention ».

L’article 118 de la loi du 24 juillet 2006 prévoit :

« Les dispositions des 2° et 3° de l’article 52, du 1° de l’article 58 et du b du 2° de l’article 59 entrent en vigueur à la date de publication du décret en Conseil d’Etat modifiant le code de justice administrative [c’est-à-dire le 29 décembre 2006] et au plus tard le 1er juillet 2007. »

L’article 52 de la loi du 24 juillet 2006 prévoit quant à lui:

« L’article L 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

(…)

3° Les 3° et 6° sont abrogés. »

Autrement dit, depuis la publication du décret du 23 décembre 2006 au JORF du 29 décembre, l’article L 511-1 II du CESEDA est rédigé de la manière suivante (comme le confirme la version accessible sur Légifrance) :

Article L 511-1

(Loi nº 2006-911 du 24 juillet 2006 art. 50, art. 51, art. 52 Journal Officiel du 25 juillet 2006)

« II. L’autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants :

1º Si l’étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ;

2º Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d’un premier titre de séjour régulièrement délivré ;

3º(2) Si l’étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ;

4º Si l’étranger n’a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois suivant l’expiration de ce titre ;

5º Si l’étranger a fait l’objet d’une condamnation définitive pour contrefaçon, falsification, établissement sous un autre nom que le sien ou défaut de titre de séjour ;

6º(2) Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l’autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l’étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé ;

7º Si l’étranger a fait l’objet d’un retrait de son titre de séjour ou d’un refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour, dans les cas où ce retrait ou ce refus ont été prononcés, en application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, en raison d’une menace à l’ordre public.

8º Si pendant la période de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, pendant la période définie au 2º ci-dessus, le comportement de l’étranger a constitué une menace pour l’ordre public ou si, pendant cette même durée, l’étranger a méconnu les dispositions de l’article L 341-4 du code du travail.

NOTA (2) : Loi 2006-911 du 24 juillet 2006 art. 118 : Les dispositions du 3º et du 6º de l’article L 511-1 seront abrogées à la date de publication du décret en Conseil d’Etat modifiant le code de justice administrative et au plus tard le 1er juillet 2007. »

Extrait de la circulaire du 22 décembre 2006 :

Pour les « étrangers qui ont fait l’objet d’un refus de séjour assorti d’une invitation à quitter le territoire dans le délai d’un mois, notifié avant le 1er janvier 2007 [sic: 29 décembre 2006] et qui ont objectivement rejoint, du fait de leur maintien en France, la situation d’irrégularité du séjour prévue au 1° et 2° du II de l’article L 511-1 nouveau du CESEDA, pourront, en cas d’interpellation, faire l’objet sur l’un ou l’autre de ces fondements d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière ».

Notes

[1] « Que faire après une OQTF? Le point sur la réforme des décicions de retrait et refus de séjour assorties d’une obligation à quitter le territoire français) », ADDE, Cimade, Fasti, Gisti, LDH et MRAP, janvier 2007.

[2] Circulaire du 22 décembre 2006 relative à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2009-911 du 24 juillet 2006 relatives à l’obligation de quitter le territoire français (NOR : INT/D/06/00114/C)

ADDE (Avocats pour la Défense du Droit des Etrangers)
GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés)
LDH (Ligue des droits de l’homme)

Share This
Soutenez les combats de la LDH

Les droits et les libertés ça n’a pas de prix, mais les défendre a un coût.