Communiqué de l’Observatoire de la liberté de création, dont la LDH est membre
L’Observatoire de la liberté de création tient à remercier mesdames les sénatrices et se réjouit que leur rapport propose des idées excellentes pour améliorer la protection des libertés de création, de diffusion des œuvres et de programmation.
Il faut, en effet, améliorer la protection des libertés de création et de diffusion des œuvres, non pas de façon complètement autonome par rapport à la liberté d’expression, puisqu’elles en relèvent de facto en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, mais il faut que chacun, et notamment les juges, tiennent compte du fait qu’une œuvre n’est pas un discours direct, et qu’à ce titre, la liberté de représentation doit être beaucoup plus grande sans toutefois être absolue. C’est pourquoi nous proposons de réécrire l’article 2 de la loi, qui comporte à ce jour une contradiction malheureuse, ainsi : « La diffusion de la création artistique est libre. Elle relève, en tenant compte des spécificités de la création artistique, de la liberté d’expression ».
L’Observatoire approuve les mesures suggérées par mesdames les sénatrices pour améliorer la sensibilisation des uns et des autres à une meilleure connaissance du dispositif légal, qui n’est pas assez utilisé, qu’il s’agisse des professionnels, des élus, des directeurs des affaires culturelles, des préfets… Mais nous insistons sur un point qui n’est pas repris dans le rapport : il est essentiel que ce contentieux, qui doit être traité par les juridictions spécialisées de la presse, comme le suggère le rapport, fasse l’objet d’une politique pénale affirmée. À cet égard, nous avons proposé une simplification du délit d’entrave, qui n’est pas encore assez utilisé, ou qui, quand il l’est, fait l’objet d’un traitement beaucoup trop lent de la part des procureurs de la République. Comme le suggèrent mesdames les sénatrices, il est dès lors nécessaire qu’un travail commun s’organise entre ministères pour parvenir à une simplification et à une meilleure efficacité. L’Observatoire, qui a déjà fait des propositions rédactionnelles de nature à faciliter le recours à la sanction pénale, aujourd’hui quasiment inexistant, sera très attentif à ce que ce travail de correction législative se réengage.
Dans une note qu’il avait adressée à mesdames les sénatrices, l’Observatoire avait lui même suggéré un certain nombre de propositions qui, si elles n’ont pas toutes été reprises, méritent désormais d’être discutées si les pouvoirs publics désirent sincèrement améliorer la situation et protéger les artistes, les lieux de diffusions et tous les professionnels aux prises à des formes de plus en plus variées de censure, de demandes de déprogrammation de spectacles ou de retrait d’exposition, voire de saccages de spectacles ou d’œuvres plastiques.
Cela suppose de revoir tous les dispositifs de censure qui, pensés au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ne sont plus compatibles avec une République du 21ème siècle. Cela suppose également de revoir les articles du code pénal qui s’appliquent aux œuvres de façon complètement inadéquate, dans une confusion entre actes de délinquance, qui doivent être évidemment poursuivis, et représentation de ces actes.
Pour donner un seul exemple, si ces délits étaient poursuivis réellement, alors plus aucun roman policier ne pourrait être édité, circuler, être mis en bibliothèque, puisqu’il représente, par définition, au moins un acte de violence, voire plusieurs crimes, souvent indignes, et qu’ils sont susceptibles d’être lus par des mineurs, ce qui veut dire, dans le Code pénal, des personnes de moins de 18 ans. Il faudrait donc interdire Agatha Christie, Simenon, Tardi, et l’on ne parle pas ici d’une interdiction aux mineurs, mais d’une interdiction totale de circulation de ces œuvres. Puisque toute œuvre, même rangée sur la plus haute étagère, peut tomber dans les mains d’un enfant curieux.
Il faut donc revenir aux fondamentaux et cesser de menacer et contraindre les libertés de créer et de diffuser dans des carcans absurdes. Et se poser la question du sens de la loi.
Alors, nous pourrions nous demander pourquoi améliorer l’exercice de ces libertés, et débattre sereinement des enjeux de ces questions : veut-on vivre dans une société de citoyen.ne.s où chacun peut se faire librement son opinion sur une œuvre ? Ou accepte-t-on qu’un groupe d’individus aux politiques, opinions morales ou religieuses affirmées décident pour toutes et tous de ce qui est visible et accessible ? L’enjeu est culturel et démocratique. Réinstaurer des lieux de débats, accepter d’échanger à partir de points de vue contradictoires, voilà le pas que chacun devrait pouvoir faire dans un cadre promu par les pouvoirs publics pour que les œuvres cessent d’être instrumentalisées au service de causes qui leur sont étrangères, et puissent retrouver la tranquillité qui leur est indispensable pour faire leur travail avec leurs publics.
Paris, le 8 octobre 2024
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