Communiqué commun à l’initiative de EuroMed Droits dont la LDH est signataire
Alors que la Commission européenne (CE) dévoile aujourd’hui, 11 mars, sa « nouvelle approche commune sur les retours », visant à accélérer les retours vers les pays d’origine et de transit, les organisations de la société civile (OSC) soussignées expriment leurs inquiétudes quant aux implications en matière de droits humains que ces propositions entraîneraient.
Problèmes liés au concept de pays tiers sûr
La proposition comprendra probablement une nouvelle directive ou un nouveau règlement sur le retour, remplaçant ainsi la proposition de 2018 sur la refonte de la directive 2008/115/CE (la directive retour), des dispositions sur les « centres de retour » et la révision du concept de pays tiers sûr.
EuroMed Droits s’oppose depuis longtemps au concept de « pays tiers sûr » et de « pays d’origine sûr » car il est contraire à l’esprit de la Convention relative au statut des réfugiés qui prévoit l’examen individuel de chaque demande d’asile : chaque situation personnelle est unique et aucun pays n’est exempt de violation des droits individuels et des droits humains.
Cependant, les pays ont de plus en plus recours à ces concepts pour accroître les retours de personnes demandant l’asile en Europe. L’Italie, par exemple, a mis à jour en 2024 sa liste de « pays d’origine sûrs » pour y inclure l’Egypte et la Tunisie, malgré les nombreuses violations des droits humains documentées perpétrées dans ces deux pays et le fait que l’Égypte, par exemple, n’est pas signataire de la Convention des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Dans le cadre de la révision prochaine du concept de « pays tiers sûr » dans le règlement sur les procédures d’asile, les organisations soussignées s’inquiètent de la volonté de l’UE d’abaisser le seuil de protection offert par un pays tiers et d’éliminer les critères de connexion.
Seuil de protection inférieur
Dans la cadre de l’adoption du Pacte UE sur la migration et l’asile en 2024, le règlement sur les procédures d’asile a déjà abaissé le seuil de protection qu’un pays tiers doit fournir en introduisant le concept de « protection effective », qui est une protection inférieure à celle prévue par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Cela permettra de facto aux États membres de l’UE de considérer un pays qui n’est pas signataire de la Convention sur les réfugiés comme « sûr ».
Par exemple, cela pourrait être appliqué dans le contexte du Liban , qui n’est pas signataire de la Convention mais est considéré comme « sûr » par Chypre , qui a déjà procédé à des refoulements violents et illégaux de demandeurs-ses d’asile syrien-ne-s. Chypre a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits humains en octobre 2024 dans l’affaire MA AND ZR c. CHYPRE (requête n° 39090/20).
Critère de connexion
Malgré le fait que le HCR, dans ses considérations juridiques dans le contexte des pays tiers sûrs, ait souligné l’importance d’un lien entre le demandeur.se d’asile et le pays tiers – par exemple des séjours antérieurs ou la présence de membres de la famille ou de liens étroits dans le pays – on peut craindre que les États membres de l’UE décident de supprimer le critère de connexion dans leur révision du concept de « pays tiers sûr ».
Cela laissera une grande marge de manœuvre aux États membres pour renvoyer les demandeurs.ses d’asile vers des pays tiers sans avoir le moindre lien avec ce pays.
Violations des droits humains
Dans de nombreux pays considérés comme « sûrs » et avec lesquels l’UE a récemment signé des accords controversés visant à freiner les flux migratoires, comme la Tunisie, le Liban et l’Egypte, la situation des droits humains et de l’État de droit se dégrade rapidement. En Tunisie, les récentes élections ont scellé l’emprise autoritaire du président tandis que la situation des migrant-e-s et des réfugié-e-s est alarmante , avec des rapports faisant état d’expulsions massives, de discours de haine et d’agressions physiques en augmentation.
En Égypte, la répression contre la société civile, les défenseurs-ses des droits humains et de la dissidence pacifique en ligne et hors ligne – qui concerne toute personne se trouvant sur le territoire égyptien -, les arrestations arbitraires, les détentions massives et les exécutions extrajudiciaires demeurent des préoccupations majeures. La loi nationale sur l’asile récemment adoptée va considérablement aggraver la situation déjà difficile des personnes demandeuses d’asile et réfugiées dans le pays, où des arrestations massives arbitraires, des détentions et des retours forcés de réfugié-e-s soudanais-e-s, entre autres, ont été récemment signalés. Dans leur communication sur la loi sur l’asile en Egypte, les procédures spéciales des Nations Unies ont exprimé de sérieuses inquiétudes quant à l’impact que cette loi aurait sur les droits humains des personnes migrantes, demandeuses d’asile et réfugiées, et ont indiqué que « si elle était adoptée, elle ne respecterait pas de manière significative les droits humains internationaux, le droit des réfugiés et d’autres normes pertinentes ».
En conclusion, ce que propose l’UE serait une nouvelle tentative de s’éloigner toujours plus des politiques de migration et d’asile fondées sur les droits, poursuivant ainsi la tendance à l’externalisation qui a été un échec complet, comme le récent accord Italie-Albanie, et qui conduit à des morts, des graves violations de droits humains et des souffrances sans fin.
Signataires : Tamkeen for legal aid and human rights (Jordanie), ARCI, İHD – Human Rights Association (Turkey), Irídia (Spain), Novact (Spain), Conseil Grec pour les Réfugiés (GCR), CEAR, CNCD- 11.11.11, LDH (Ligue des droits de l’Homme), CS-LADDH, Fondation pour la promotion des droits, Association tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), Centre for Peace Studies Croatia, Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS), Safe Passage International, KISA, La Fondation pour la promotion des droits, EuroMed Droits