Communiqué commun de la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), de la Ligue des Droits de l’Homme et du citoyen (LDH) et de l’Association Mauritanuienne des droits de l’Homme – AMDH.
En juin 1999, la Ligue des Droits de l’Homme et du citoyen (LDH), et la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), aux côtés de victimes negro-mauritaniennes réfugiées en France, portaient plainte contre le capitaine Ely Ould Dah, pour des actes de torture commis au début des années 90.
Mis en examen, placé en détention puis sous contrôle judiciaire , Ely Ould Dha parvenait néanmoins à s’enfuir vers la Mauritanie en avril 2000, avec la complicité des autorités mauritaniennes pour ne plus réapparaître devant la justice française.
En dépit de la fuite de Ould Dah, la procédure s’est poursuivie pour aboutir, en octobre 2002, à un arrêt de la Cour de cassation renvoyant l’affaire devant la Cour d’Assises de Nîmes pour que celle-ci se prononce sur la culpabilité. Le procès Ould Dah doit donc se tenir, même en l’absence de l’accusé, conformément à la procédure dite de contumace.
Depuis cet arrêt, les avocats des victimes, de la FIDH et de la LDH et de l’AMDH ont entrepris de nombreuses démarches pour tenter d’obtenir que l’affaire soit inscrite au rôle de la Cour d’Assises du Gard. En mai 2003, le Procureur général près la Cour d’appel de Nîmes indiquait dans un courrier qu’il « espérait » que le procès puisse être audiencé à la session de septembre 2003. En janvier 2004, il prenait l’engagement plus précis d’un audiencement pour septembre 2004, « sauf circonstances imprévues ». Pourtant, à ce jour, aucune date n’a été fixée, laissant les victimes dans l’attente pendant que Ely Ould Dah continue à jouir de son impunité.
La FIDH et ses affiliées française et mauritanienne, la LDH et l’AMDH dénoncent cette inertie et réclament que le procès soit organisé dans les plus brefs délais. Elles sont indignées par le prolongement de la procédure au-delà de tout délai raisonnable et au mépris du droit des victimes à un recours effectif devant une juridiction indépendante.
Elles rappellent que la France a été récemment condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour la durée excessive d’une procédure similaire, également fondée sur la compétence universelle, et concernant un individu accusé d’avoir participé au génocide rwandais.
« Les autorités françaises sont en train de réunir tous les éléments d’un déni de justice et d’apporter leur soutien au système d’impunité mis en place en Mauritanie », a déclaré Patrick Baudouin, Président d’honneur de la FIDH, « il est temps pour elles de réagir en manifestant clairement la volonté de respecter les obligations auxquelles elles ont souscrit lorsqu’elles ont ratifié la Convention contre la torture.».
La FIDH, l’AMDH et la LDH soulignent la schizophrénie des autorités françaises qui ne manquent d’afficher leur attachement à la cause des « victimes » jusqu’au sein de la Cour pénale internationale alors que par ailleurs les victimes mauritaniennes d’actes de tortures attendent qu’une suite soit donnée à la décision de la Cour de cassation de renvoyer Ely Ould Dah devant la Cour d’assise du Gard.
Paris, le 22 octobre 2004
Pour rappel :
Les crimes reprochés à Ely Ould Dah
Le capitaine Ely Ould Dah était, à l’époque des faits reprochés, officier de renseignements de la base de la prison de Jreïda, chargé de recueillir les aveux de militaires négro-mauritaniens. Des actes de torture ont été commis à la prison de Jreïda, en 1990 et 1991, sur les deux victimes au nom desquelles la plainte a été déposée. Ely Ould Dah serait l’un des auteurs de ces faits. Les rescapés ont été libérés fin avril 1991. Certains d’entre eux ont décidé de quitter la Mauritanie pour demander, et obtenir, l’asile politique en France.
Résumé de la procédure
Le 4 juin 1999, la Ligue des droits de l’homme et la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme ont engagé une procédure pour l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre de l’officier mauritanien, Ely Ould Dah, auprès du procureur de la République du tribunal de Montpellier sur le fondement de l’article 689-1 du Code de Procédure Pénale qui établit la compétence universelle des tribunaux français pour connaître du crime de torture, incriminé par l’article 222-1, en application de la convention de 1984 contre la torture.
– Ely Ould Dah est mis en examen pour « crimes de torture », par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Montpellier.
– Ecroué le 2 juillet 1999, Ely Ould Dah est mis en libération sous contrôle judiciaire, le 28 septembre 1999, à la demande de ses avocats.
– Le 5 janvier 2000, les avocats d’Ely Ould Dah ont déposé une requête en annulation de la procédure. Elle a été plaidée le 17 février 2000.
– Le 14 mars 2000, les juges de la chambre d’accusation ont rejeté la requête de la défense, considérant que la procédure ne comportait pas de vices de forme.
– Le 5 avril 2000, Ely Ould Dah fuit la France et retourne en Mauritanie. Une enquête est ouverte en France pour déterminer les circonstances de sa fuite.
– Par une lettre du 30 juin 2000 le juge d’instruction demande la communication du dossier de procédure au procureur.
– Le 25 mai 2001, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de mise en accusation d’Ely Ould Dah devant la Cour d’assises.
– Le 20 juin 2001, l’avocat d’Ely Ould Dah a fait appel de l’ordonnance de mise en accusation. La régularité de ce recours est incertaine car il pourrait avoir été déposé hors délai. De plus la régularité de la notification de l’ordonnance de mise en accusation est elle-même mise en cause.
– Le 08 novembre 2001, la Chambre de l’Instruction de Montpellier a déclaré irrecevable l’appel d’Ely Ould Dah comme tardif. L’avocat d’Ely Ould Dah a donc formé un pourvoi en cassation.
– Le 06 mars 2002, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé la décision de la chambre d’instruction de Montpellier et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Nîmes. C’est la régularité de la signification de l’ordonnance de mise en accusation qui justifie cette cassation, cette ordonnance n’ayant pas été signifiée dans les formes requises, le délai d’appel n’a pas commencé à courir et il ne peut donc pas être déclaré tardif.
– Le 8 juillet 2002 la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nîmes ordonne la mise en accusation de Ely Ould Dah devant la Cour d’assises du GARD.
– Le 15 juillet 2002, Ely Ould Dah se pourvoit en cassation.
– Le 24 octobre 2002, la Cour de Cassation rejette le pourvoi d’Ely Ould Dah et renvoie l’affaire devant la Cour d’Assises pour crimes de torture sur le fondement de la compétence universelle.