Communiqué de la LDH
Nous avons perdu Pierre Vidal-Naquet, membre d’honneur du Comité central de la LDH.
Nous avons perdu un des plus éminents représentants de ce que l’affaire Dreyfus a fait naître : un intellectuel. Ce mot, décrié par les chantres de l’apolitisme, continue à désigner celles et ceux qui mettent leur intelligence au service d’un « engagement », autre terme qui n’est daté que pour les théoriciens de leur propre confort.
L’engagement ! Toute l’existence de Pierre Vidal-Naquet en fut tissée. La disparition de ses parents en juin 1944, presque en même temps que Victor et Ilona Basch, ne se limita jamais pour lui à une tragédie familiale : l’histoire était là, avec le poids monstrueux du négatif en cette période noire. L’histoire à laquelle il allait consacrer toute sa vie active.
L’histoire de la Grèce antique certes, dont il a été l’un des plus grands spécialistes de son temps, mais ce choix, qui visait à maîtriser par l’éloignement du sujet la passion militante qui était la sienne, ne l’empêcha jamais d’affronter parallèlement les démons du présent. Il était, avec Madeleine Rebérioux, avec Daniel Mayer et quelques autres au début assez peu nombreux, de ceux qui n’ont pas supporté l’ignominie de la torture en Algérie. Il était aussi, avec Jean-Marie Domenach et Michel Foucault, l’un des signataires du manifeste du Groupe d’information sur les prisons en 1971. Et en 2003 encore, il était l’un des auteurs de l’appel « Une autre voix juive », qui disait la solidarité de personnalités juives avec le peuple palestinien. Solidarité qui avait d’autant plus de poids qu’elle était celle d’un pourfendeur du révisionnisme et du négationnisme : celui qui avait écrit « Les assassins de la mémoire » ne pouvait être suspecté d’aucune complaisance ni d’aucune faiblesse pour la moindre trace d’antisémitisme.
Innombrables seraient les exemples de combats partagés avec la LDH dans cette vie si riche et si dense. Il nous est arrivé bien sûr de ne pas être entièrement d’accord avec Pierre Vidal-Naquet, par exemple ces derniers mois sur la « loi Gayssot ». Mais jamais ces discussions ne nous ont séparés sur l’essentiel : elles n’étaient que la vitalité du débat fraternel entre militants de l’universel.
Il y a moins de dix-huit mois nous nous retrouvions avec lui pour célébrer la mémoire de Madeleine Rebérioux qui venait de disparaître. Nous disions de Madeleine alors qu’elle avait été de tous les combats pour la dignité des Hommes. Comment ne pas le redire aujourd’hui ?
La mémoire des justes ne s’efface pas tant que leurs idées continuent à vivre. Pierre Vidal-Naquet reste parmi nous, comme un ami fidèle et un exemple pour demain.
Paris, le 31 juillet 2006