Comment désengorger la juridiction administrative ? En empêchant d’y accéder ceux qui en ont le plus besoin !
Un projet de décret prévoit une réforme radicale du contentieux administratif : à la faveur de l’introduction de l’obligation de quitter la France (OQTF) pour les étrangers faisant l’objet d’un refus de séjour et de l’instauration d’un recours suspensif contre cette mesure [1], c’est tout le contentieux administratif des administrés les plus précaires qui va être entravé à partir du 1er janvier 2007.
Devant un engorgement croissant des juridictions administratives, ce projet de décret prévoit d’étendre considérablement le champ d’application des ordonnances décidées par les seuls présidents de formation de jugement, donc sans audience publique et sans examen sur le fond. C’est la logique du rendement, seule exigence qui semble désormais compter pour la juridiction administrative au détriment de la qualité de la justice rendue et de l’accès au droit des justiciables.
Il en serait ainsi quand les recours qui lui sont adressés ne comportent que :
* des arguments de forme « manifestement non fondés » ;
* des arguments « irrecevables » ;
* des arguments « inopérants », tels – est-il précisé – « l’invocation d’une circulaire dépourvue de caractère réglementaire », autrement dit, l’invocation d’une circulaire de régularisation ;
* des arguments non assortis « des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé » ;
* des arguments assortis que « de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ».
Autant dire dans ces conditions que les requêtes rédigées sans le concours d’un professionnel du droit auront peu de chance de passer le « tri ».
On reproche aux administrés les plus démunis – les « sans » et autres « invisibles » – sans papiers, sans logement, sans travail, handicapés, bénéficiaires des minima sociaux , étudiants, travailleurs pauvres, d’encombrer les prétoires administratifs pour faire valoir les droits qu’on leur dénie par des requêtes mal rédigées, mal motivées ou ne respectant pas les règles formelles. On leur reproche aussi, et surtout, de ne pas maîtriser suffisamment la langue française.
Au lieu de s’interroger sur les raisons qui poussent les plus précaires, face à des décisions toujours plus incompréhensibles, arbitraires et souvent illégales, à se tourner vers le juge, on cherche à restreindre drastiquement leur accès au droit.
Le parti pris du projet de décret est donc d’évacuer leurs requêtes en dehors de la formation collégiale et du regard du commissaire du gouvernement, pour confier ce contentieux des « invisibles » aux assistants de justice, et ainsi de leur rendre l’accès au juge administratif toujours plus difficile.
La justice administrative y augmentera sans doute sa productivité mais les droits des requérants seront réduits à peau de chagrin.
Les premières victimes de cette nouvelle réforme seront, bien évidemment, les étrangers, relégués dans l’irrégularité par le caractère sans cesse plus restrictif des critères fixés par la loi pour accéder à un titre de séjour.
Eriger les tribunaux administratifs en citadelles inaccessibles à ces administrés ne répond pas aux motifs de fond de l’explosion du contentieux administratif des exclus.
L’encombrement de la juridiction administrative trouve ses causes dans l’inflation législative, la complexité croissante des dispositifs légaux, la faiblesse des relais sociaux, et pour les étrangers, la précarisation des catégories de « plein droit », le caractère sans cesse plus discrétionnaire des critères fixés par la loi (comme les notions « d’intégration républicaine dans la société française » ou de « respect des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République), l’arbitraire des pratiques des guichets ou encore la suppression des mécanismes de prévention du contentieux.
Ces dernières années, chaque réforme du statut des étrangers s’est systématiquement accompagnée d’un accroissement du contentieux administratif, puis de restrictions à l’accès des étrangers aux prétoires administratifs.
Les organisations signataires refusent cette logique et demandent l’abandon de la réforme du contentieux administratif en cours.
Elles insistent sur leur attachement à la soumission de l’administration au droit et donc au juge, pilier de l’État de droit. Exclure des tribunaux les exclus du droit aura sans nul doute un effet statistique important. Pour autant ni la démocratie, ni les droits fondamentaux n’y gagneront.
[1] Article L 512-1 du Ceseda issu de la rédaction de la loi du 24 juillet 2006.