Depuis près de sept ans, le peuple algérien est l’otage d’une violence quotidienne qui a enfin fini par émouvoir l’opinion publique nationale et internationale comme en ont témoigné la mobilisation du 10 novembre 1997 et les manifestations organisées ce 4 avril 1998.
Durant ces sept années de guerre, les groupes armés se sont rendus coupables de violations massives et caractérisées des droits les plus élémentaires de la personne humaine : assassinats d’agents de l’ordre et de leurs familles, attentats aveugles, enlèvements et viols de femmes, raids meurtriers visant des familles de civils, voire des villages entiers…
Mais ces crimes, que personne ne conteste, ne sauraient excuser les graves violations des droits de l’homme qu’ont commis et commettent encore les divers services de sécurité dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Contre toute évidence, le pouvoir algérien persiste à dire que le terrorisme, qui constituerait, à l’entendre, l’unique source de la violence, est en voie d’être vaincu. A l’en croire, l’Algérie est désormais un État de droit, qui respecte tous ses engagements internationaux.
Qu’en est-il en réalité et quel est le bilan de la politique d’éradication suivie depuis sept ans ?
Des secteurs entiers de la société algérienne, assimilés à tort ou à raison aux islamistes, ont subi et subissent encore une répression impitoyable : arrestations arbitraires, recours systématique à la torture, exécutions extra judiciaires sont devenus des pratiques courantes en Algérie, et ce en violation tant de la constitution algérienne que des traités et instruments de protection des droits de l’homme que ce pays a librement signés et ratifiés et qui font en conséquence partie intégrante du droit interne algérien. Totalement aux ordres de l’exécutif, le système judiciaire se caractérise par le non-respect des délais de garde à vue et de détention préventive, des atteintes au droit à un procès équitable, le caractère expéditif des audiences… Depuis 1992, aucun observateur indépendant n’a pu assister à un procès en Algérie.
Des dizaines de milliers de victimes ont été assassinées dans les conditions les plus horribles.
Des dizaines de milliers de rescapés continuent à vivre dans le dénuement le plus complet, parce que les autorités refusent l’aide humanitaire proposée, par l’Union européenne et les organisations spécialisées.
La privatisation de la violence avec au moins – c’est le chiffre officiel – 5.000 milices constituées de civils armés, qui ne sont pas confinées à la seule ’ légitime défense ’ et qui participent activement à l’extension de la violence.
Des milliers de disparus, de nombreuses lois liberticides – comme la loi sur les partis – un Parlement contrôle par un seul parti politique, créé à la veille des élections législatives.
Telle est la situation dans un pays qui vit depuis février 1992 sous l’état d’urgence qui autorise notamment les perquisition de jour comme de nuit, la possibilité d’interdire sans motivation toute manifestation publique ou réunion qui déplaît.
Plus personne – et encore moins les gouvernements des pays démocratiques – ne peut plus prétendre ignorer l’ampleur et la gravité de la crise des droits de l’homme en Algérie. Dès le mois de septembre 1992, soit huit mois seulement après la proclamation de l’état d’urgence (9 février 1992), le comité des droits de l’homme, groupe d’experts constitué aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, attirait l’attention des autorités algériennes ’ sur le fait que le Pacte ne permet pas, même en situation d’urgence, de déroger un certain droit et que, par conséquent, les excès commis en ce qui concerne le droit à la vie, la torture et le droit à la liberté de conscience et d’expression, constituent des violations du Pacte auxquelles il faut mettre fin ’. Depuis, les organisations de défense des droits de l’homme algériennes et internationales ont publié plus de quinze rapports qui confirment sans contestation possible ce terrible constat.
En 1997, ce bilan s’est alourdi avec la série de massacres qui ont touché des quartiers et des villages entiers sans que les forces de sécurité n’assument leur mission première qui est de porter secours aux populations suppliciées. Face à l’émotion de l’opinion publique et à l’exigence d’une commission d’enquête internationale, indépendante et impartiale, le gouvernement algérien se drape dans la défense de sa souveraineté et vient de refuser encore l’envoi de rapporteurs spéciaux de la commission des droits de l’homme.
Alors qu’il affirme n’avoir rien à cacher et se conformer à ces engagements internationaux même si l’étau de la censure s’est desserrée, il refuse de délivrer des visas à certains journalistes, aux organisations humanitaires et de défense des droits de L’homme, Amnesty, FIDH, RSF, Watch…) tout en organisant une véritable stratégie de communication en direction de l’opinion internationale. Des visiteurs, bien sélectionnés, sont eux autorisés pour de brèves visites guidées, et sous bonne escorte.
A l’occasion de la journée de solidarité du 4 avril 1998, la LDH :
– Réaffirme son soutien à la demande d’une commission d’enquête internationale sur les massacres et les violations des droits de l’homme en Algérie ;
– demande au gouvernement français de soutenir, à la suite du gouvernement américain, les efforts de Madame Mary Robinson, Haut commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme,
– Réaffirme son soutien à la revendication auprès du gouvernement français d’un moratoire sur les expulsions des Algériens et la mise en œuvre d’une politique d’attribution des visas en rupture totale avec les pratiques actuelles.
Ligue des droits de l’homme – membre de la coordination : ’ Un jour pour l’Algérie ’.
Paris, le 3 avril 1998