Intervention de Dominique Guibert, membre du Bureau national de la LDH
Nous sommes aujourd’hui ensemble réunis pour fêter l’ouverture de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Ensemble, oui, mais manifestement pas tous ensemble ! En effet, je n’ai pas à m’adresser à ces plus hautes autorités de l’Etat qui comme il est d’usage en de pareilles circonstances sont protocolairement requises. Je n’ai pas à dire, Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Madame la par ci, Monsieur le par là. Prenons la mesure de ce fait : un établissement public national, du même statut que cette Cité de l’architecture récemment inaugurée, ou bien encore semblable au Musée du Quai Branly ne bénéficie pas de cette attention qui fait d’une action publique un événement politique.
Mon premier sentiment est de vous proposer de nous en moquer : après tout, l’officialité d’une cérémonie ne préjuge pas de sa valeur. Mais en politique, tout a un sens. D’autant plus que nous avons affaire à des spécialistes de la communication gouvernementale. Il ne peut pas leur avoir échapper que le silence assourdissant de cette absence ne pourra être excusé par un congé maladie , un moment d’inattention de l’hyper président ou une surcharge de calendrier entre la Bulgarie, Cardiff et la Russie.
Nous pouvons donner acte au Président de la République qui prétend faire ce qu’il dit de sûrement savoir ne pas dire ce qu’il ne fait pas. Accordons au ministre de l’immigration et de l’identité nationale que son titre dit bien ce qu’il veut dire. Mais il convient de leur retourner l’argument. Puisque en toute connaissance de cause, ils ne sont pas venus, il s’agit bien d’une décision politique : alors que l’appui à cette structure originale et nouvelle aurait compté pour la reconnaissance de la place de l’immigration dans la construction nationale et sociale de la France, ce geste qui aurait eu une force symbolique n’a pas été voulu.
On discerne assez facilement la première dimension explicative de cette absence. Dans une conjoncture politique pour la première fois ouvertement difficile, le gouvernement n’a pas souhaité contraindre le débat parlementaire et augmenter les craquements de sa majorité. On peut en juger avec les différentes réactions aux amendements introduits par un quarteron de députés considérant que le populisme est le meilleur garant de leur avenir professionnel. Les mesures de contrôle génétique, de fermeture du droit aux hébergements d’urgence, de vérification des compétences linguistiques à l’extérieur du territoire national, enfin de limitation du délai de réponse aux demandeurs d’asiles sont autant de mesures qui nous rapprochent de la xénophobie d’Etat. Comme le rappelle lui-même le président de la CNHI : « le discours actuel insiste davantage sur l’idée de fermeture que sur celle d’ouverture ». On peut en conclure que les autorités ont jugé qu’il fallait s’en tenir à la fermeture plutôt que de se prendre les pieds dans le tapis rouge de l’ouverture et éviter ainsi de « brouiller le message ». Contrairement à ce qu’en pense le Premier ministre, c’est dans les détails qu’est le diable !
Mais je voudrais proposer une deuxième dimension explicative que je qualifierais de structurelle. Il y a une certaine cohérence entre le refus de la « repentance », le discours de Dakar et la création récente de l’Institut d’études sur l’immigration et l’intégration. Avec ces trois exemples parmi d’autres, on distingue la volonté de refonder un substrat idéologique, politique et historique qui redonnerait du corps à une vision de la France impériale, bienfaitrice et civilisatrice tout au long de son histoire, y compris coloniale. Dans ce cadre, alors même que la création de la CNHI avait laissé subsister une ambiguïté ontologique dans les rapports entre la colonisation et l’immigration et avait renvoyé aux futures recherches la discussion, il se pourrait que la discrétion officielle corresponde à un déni d’existence. Une nouvelle histoire officielle est en route et la CNHI gêne.
La LDH avait dès le départ considéré que la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration était un événement positif. Nous avons apprécié les efforts déployés pour dessiner les contours d’un outil pluraliste, démocratique, contradictoire, mais aussi ouvert vers tous les acteurs de la vie sociale, vers toutes ces personnes dont les histoires de vie font la richesse de notre pays. Nous avons compris les réactions des membres du conseil scientifique en réponse à la création d’un ministère de l’Immigration et de l’identité nationale. La France est un pays d’immigration depuis très longtemps. Ce processus ne s’arrêtera pas. Les murs législatifs, réglementaires, policiers n’y pourront rien. Faire croire qu’il est possible et souhaitable de tendre versune immigration choisie pour les uns et zéro pour les autres ; est un mensonge d’Etat. La CNHI rend toute son épaisseur à cette plus que centenaire dimension structurelle du pays. La LDH restera très vigilante pour que cette création originale en France ne tombe pas soit en déshérence, soit en désespérance.
Nous sommes ici, comme le dit très bien l’appel à cette active cérémonie, parce que « La République, la France a enfin son lieu de mémoire de l’immigration, son lieu d’histoire longtemps délaissée, oubliée, sous-estimée ». Avent de conclure, je veux, à partir du passé, faire le lien avec le présent. Voici un extrait du rapport du 28 septembre dernier de l’experte indépendante des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités qui « lance un appel en faveur d’un ferme engagement au plus haut niveau pour promouvoir la non discrimination, l’égalité et la diversité en France » : « il reste encore beaucoup à faire pour que la diversité culturelle soit acceptée. A ce jour les communautés de nouvelles minorités ont le sentiment largement partagé qu’il ne suffit pas d’être citoyen français pour être pleinement accepté, que cette acceptation va de pair avec une assimilation totale qui les oblige à renoncer à des pans entiers de leur identité ». Nouvelles minorités, anciennes minorités, ne serait-ce pas du rôle de la CNHU de servir les concordances des temps entre les unes et les autres ?
Autrement dit, nous savons quoi combattre, nous savons qui combattre. L’inauguration citoyenne que nous allons faire maintenant montre que nous savons aussi comment le faire et avec qui.
Paris, le 10 octobre 2007