Intervention de Dominique Guibert, membre du bureau national de la LDH, lors du rassemblement du 7 mai 2008 à Bruxelles contre la directive européenne « Retour »J’interviens au nom de l’AEDH, Association européenne des droits de l’Homme et de la LDH de France. Nous sommes ici à Bruxelles pour faire obstacle à la directive européenne dite retour et demander aux parlementaires européens de s’opposer à l’adoption de ce texte. Mais nous y sommes aussi pour exprimer cette exigence auprès des gouvernements et des parlements de nos pays respectifs.
Lors de la réunion commune des représentants de la Commission, du Parlement et du Conseil, le 23 avril 2008 à Bruxelles, un projet de compromis a été élaboré. Mais il ne présente aucune avancée par rapport au texte approuvé en commission, liberté, justice et affaires intérieures du Parlement européen à l’automne 2007. Il doit être avalisé aujourd’hui, mercredi 7 mai. Nous devons empêcher une telle adoption, qui reviendrait à légaliser au niveau européen la détention de migrants sous le seul prétexte qu’ils sont en séjour irrégulier.
Nous demandons aux députés européens de ne pas approuver ce projet dont l’intitulé «directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » est à lui seul un exemple significatif de camouflage de la politique d’enfermement et d’euphémisation de la réalité de l’immigration, alors que ces mots eux-mêmes ne sont jamais prononcés.
En choisissant la recherche d’une voie moyenne européenne, plutôt que de s’appuyer sur les pratiques les moins défavorables, cette directive risque d’être un facteur d’incitation au durcissement des procédures dans les pays où la législation est actuellement moins répressive. Ce compromis, même sous une forme améliorée par rapport au projet initial présenté par la Commission en 2005, reste donc bancal et s’inscrit dans une philosophie de la répression qui fait fi du principe de proportionnalité et s’éloigne de ce que l’on peut attendre d’une législation respectueuse des droits fondamentaux. En outre, on ne peut manquer d’observer que l’adoption d’un texte visant « les ressortissants en séjour irrégulier », alors que les bases juridiques de l’immigration légale ne sont toujours pas définies et harmonisées, ferait preuve de précipitation et d’incohérence.
Il nous faut donc rappeler qu’il existe des règles internationales sur les droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile et que toute politique, même si elle tente de se cacher derrière le terme de « retour » ne saurait y déroger. Les promoteurs du projet de directive et les parlementaires n’ignorent sans doute rien des principes internationaux auxquels sont d’ores et déjà tenus tous les États membres. Mais, à la lecture de leur texte, il apparaît évident qu’il convient de les leur rappeler. Que font-ils de l’interdiction des expulsions collectives, du principe de non refoulement des demandeurs d’asile ; de l’intérêt supérieur de l’enfant ; de la protection de la vie privée et familiale ? Que font-ils enfin du droit à un recours effectif ? Et nous constatons que, sur plusieurs de ses articles, le projet de directive ne respecte même pas les « Vingt principes directeurs sur le retour forcé » du Conseil de l’Europe qui devraient rester la référence minimale en matière de procédure d’éloignement des étrangers dont la présence est irrégulière.
Nous affirmons une opposition absolue à l’adoption dans ce texte à valeur réglementaire pour tous les Etats membres de l’Union européenne de dispositifs qui accentuent la criminalisation des ressortissants des pays tiers, c’est-à-dire les étrangers :
– 1) la durée de rétention peut être étendue à 18 mois. Certes actuellement, dans certains Etats membres, la durée d’enfermement des étrangers ne connaît pas de limite ; mais l’expérience montre que les Etats où la durée est pour l’instant limitée à un mois ne manqueront pas d’y voir une incitation à la prolonger. Dés lors, la rétention vise non pas à retenir de manière exceptionnelle les personnes en situation irrégulière le temps d’organiser leur éloignement, mais à permettre leur mise à l’écart et un contrôle sur des populations jugées indésirables. Une telle mesure est contraire au principe de proportionnalité, sauf à considérer les personnes concernées comme des délinquants, y compris leurs enfants !
– 2) L’interdiction de réadmission sur le territoire européen qui peut aller jusqu’à 5 ans et assortir toute mesure d’éloignement. Cette forme de « double peine » ne peut que créer des situations absurdes et inacceptables. Qui plus est contreproductives puisque ceux qui ont fait leur vie en Europe seront contraints de plonger dans la clandestinité pour revenir.
– 3) La possibilité de mise en rétention de mineurs au prétexte de l’unité familiale !
– 4) L’absence de précaution dans la sélection de l’Etat de transit ou de retour : Aucune disposition dans la directive ne prévoit une évaluation des risques encourus du fait du retour par les personnes concernées, y compris des risques qu’elles encourent dans un pays de transit d’être renvoyé dans un pays ou leur vie même est en danger.
Nous ne pouvons non plus nous satisfaire des maigres, trop maigres, protections inscrites dans le projet de directive. Ainsi en est-il du traitement « spécifique » des personnes vulnérables, limité à une liste restrictive dans laquelle seules deux catégories de personnes semblent protégées : les personnes malades – qui doivent recevoir un titre de séjour pour soin – et les mineurs non accompagnés. Encore faudrait-il s’accorder sur la définition de mineur non accompagné qui peut différer d’un pays à un autre. Nous ne pouvons non plus nous satisfaire de l’institution d‘un médiateur européen en matière de retour, dont on voit mal comment il pourrait intervenir efficacement sur tous les cas d’abus dans tous les Etats membres. Le Parlement européen ferait preuve de son respect des droits de l’Homme en soumettant strictement les mesures proposées au respect de la dignité et des droits des personnes concernées.
Je voudrais insister fortement sur la notion d’éloignement des étrangers, tellement elle apparaît emblématique du traitement de l’immigration que les gouvernements semblent vouloir adopter. En ouvrant la voie à la systématisation d’une politique d’internement des migrants, en ne fixant pas de normes suffisantes de protection, le projet de directive banalise la rétention comme outil de gestion des migrations. Se positionnant trop souvent en deçà des règles internationales ou en créant des confusions par rapport à l’application de ces règles, le projet de directive proposé au vote des parlementaires européens ne peut être accepté en l’état. Même après amendement, sa logique et sa philosophie au fond sont largement contestables.
Comment ne pas faire référence à la situation de mon propre pays ? Comment ne pas qualifier d’exemplaire la mobilisation des salariés sans papier qui ont entamé depuis le 15 avril une grève avec occupation de leurs entreprises pour obtenir leur régularisation ? Comment ne pas refuser le traitement des retenus dans les fameux CRA, ces lieux de perdition des droits ? Comment ne pas rappeler la nécessité d’une régularisation de tous les sans papier, d’abord pour des raisons de justice sociale, mais aussi de politique économique. Quand des migrants travaillent, ils ne prennent le travail de personne, ils prennent le travail dont personne ne veut. Quand des migrants viennent, ils ne prennent la place de personne, ils cherchent leur place dans le monde, toute leur place, et rien que leur place. Quand le gouvernement français prône l’immigration choisie, il fait comme s’il s’agissait d’un acte réciproque, alors que l’un impose la réglementation et que l’autre subit la contrainte. Nous ne pouvons accepter qu’une directive européenne accorde à la politique répressive de la France un brevet de crédibilité.
A l’occasion du débat et de l’éventuelle adoption de la directive « retour », il ne s’agit pas de remettre en cause la légitimité des parlementaires européens à légiférer sur la politique d’immigration, mais de leur demander de ne pas approuver une directive fondée sur la répression de l’immigrant et la criminalisation de l’étranger et de recbercher les moyens d’une politique fondée sur le respect et la dignité de traitement dus à tout être humain.
Bruxelles, le 7 mai 2008