Par Catherine Choquet, membre du Comité central de la LDH
C’est en Guinée forestière, à Meliandou, que serait apparue la première manifestation de la fièvre hémorragique à virus Ebola[1] en décembre 2013. Un petit garçon de 2 ans est mort en deux jours. Le village de Meliandou est situé dans ce que l’on considère aujourd’hui comme la « zone rouge » de la flambée d’Ebola : une zone forestière limitrophe du Libéria et de la Sierra Leone.
Il a fallu près de trois mois aux autorités guinéennes pour déterminer la nature exacte de l’épidémie qui démarrait. En effet, les malades atteints par Ebola présentent des symptômes qui peuvent également être ceux d’une attaque de paludisme, d’une fièvre typhoïde ou d’une méningite, maladies récurrentes en Afrique.
Le virus Ebola est extrêmement dangereux (le taux de létalité moyen est de 50 % mais peut atteindre 90 %) mais il est vingt fois moins contagieux que la rougeole. Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le paludisme par exemple aurait tué au moins 9 400 personnes en Guinée en 2012, donc beaucoup plus que l’épidémie qui fait la une de l’actualité depuis des semaines ; mais le paludisme n’est pas contagieux et pas courant dans les pays du Nord. Sans doute faut-il attendre que le réchauffement climatique entraîne la migration du moustique transmetteur de la maladie et une accélération de la recherche contre cette calamité qui tue des millions de personnes dans le monde… Quant à Ebola, c’est un virus très fragile qui ne résiste que quelques heures à l’air libre et qui s’élimine facilement avec des désinfectants classiques comme l’eau de javel.
MAIS pour combattre efficacement une flambée de ce virus, il est indispensable de mettre en place très rapidement un ensemble de mesures : prise en charge des cas déclarés, recherche et surveillance des contacts des malades atteints (la période d’incubation pouvant aller de 3 à 21 jours, les malades ne sont contagieux qu’après déclenchement de la maladie et le restent tant que le virus est présent dans le sang et les sécrétions), inhumations sans risque (sans toucher les corps des victimes qui sont très contagieux), et surtout une mobilisation sociale et une sensibilisation des populations concernées.
Non seulement le délai a été long pour réaliser que c’était le virus Ebola qui sévissait, mais de plus les autorités du pays n’ont pas pris la mesure du risque encouru ni les mesures ad hoc pour éradiquer le virus. Les consignes à appliquer ont été diffusées tardivement, comme par exemple l’interdiction de transporter les dépouilles. Les rites funèbres traditionnels supposent des contacts avec le corps des défunts ce qui a fait des ravages ; certaines familles ont répandu le virus dans le pays en allant enterrer le défunt loin de son lieu de décès, ce qui a permis l’arrivée du virus à Conakry par exemple, et plus récemment au Mali. Et bien sûr, le transport n’est assuré ni par des corbillards ni par des véhicules sanitaires isolés.
L’information n’étant pas passée sur la nature de la maladie, les personnes malades ont contaminé leurs proches et les soignants consultés. Les structures de soin sont vétustes et ont souffert des années de conflit et de dictature. Le personnel soignant n’est pas formé à lutter contre ce virus et se trouve démuni face à l’épidémie. Le personnel médical est en première ligne, plus de 40 % des soignants impliqués dans la lutte contre Ebola ont été contaminés. Sur les 1 479 cas d’Ebola confirmés début novembre 2014 en Guinée, 850 décès sont intervenus dont ceux de nombreux soignants.
Selon la Banque mondiale, « les pays d’Afrique subsaharienne ont en moyenne 2 médecins et 11 infirmières ou sages-femmes pour 10 000 habitants, contre 30 médecins et 84 infirmières ou sages-femmes dans les pays à revenu élevé ».
Des messages contradictoires
La maladie a débuté en décembre 2013, mais n’a été officiellement reconnue qu’en mars 2014 ; d’aucun prétende qu’il ne fallait pas qu’une actualité angoissante vienne troubler la visite officielle du roi du Maroc Mohammed VI, qui a signé de nombreux contrats à l’occasion d’une grande tournée africaine en mars, avec une étape guinéenne. L’information enfin rendue publique, il a fallu lutter contre les charlatans qui prétendaient qu’il suffisait de manger de l’oignon pour guérir ou les rumeurs prétendant que c’était les soignants, en particulier ceux du Nord, qui inoculaient le virus aux Africains. En même temps étaient diffusés des messages appelant les personnes qui avaient des symptômes à se rendre dans les centres de santé pour se faire dépister mais la communication publique insistait surtout sur les décès et l’impuissance à traiter le virus. Si effectivement on ne maîtrise pas encore le traitement efficace, il est cependant évident qu’une personne prise en charge rapidement a beaucoup plus de chances de s’en sortir parce qu’elle sera suivie, hydratée et soignée dans un milieu évitant au maximum la contamination de l’entourage. C’est ce que montre en tout cas l’exemple de Télimélé (voir plus bas).
En juin, l’épidémie a connu une accalmie mais a repris en différents points du territoire dès l’été. Les mesures sanitaires sont toujours insuffisantes, pas de contrôle sur les ports de Guinée par exemple. Même si on peut se féliciter de la mise en place d’une coordination de la lutte, il reste beaucoup à faire. Aujourd’hui encore, il y a mélange entre les messages publics de certaines administrations et d’élus qui s’adressent aux populations en parlant en même temps des futures élections présidentielles prévues en 2015 et de la lutte contre Ebola ; les tensions politiques sont telles que le message sur Ebola ne passe pas ! De plus, prévoyant une arrivée de fonds, certaines administrations et organisations – non directement impliquées dans la lutte contre le virus – se lancent dans la fabrication de banderoles et la diffusion de messages contre Ebola, en espérant pouvoir plus tard récupérer un peu de cette manne financière annoncée.
Une réaction internationale trop tardive
Du côté des organisations internationales, il a fallu attendre l’intervention à la tribune du Conseil de sécurité de l’ONU du Dr Joanne Liu, présidente internationale de MSF, le 18 septembre 2014, pour que les choses bougent, à commencer par la communication qui a pris une telle ampleur qu’elle a entrainé ce que l’on pourrait appeler des « dégâts collatéraux ». L’OMS reconnaît d’ailleurs que sa « propre bureaucratie a été problématique » dans la gestion de cette épidémie, en particulier l’inefficacité de ses délégations dans différents pays où les responsables sont surtout nommés sur des bases « politiques », sans tenir compte de l’expertise nécessaire. Après des mois d’indifférence ou presque, la « communauté internationale » s’est mise en branle et dès lors nous avons pu assister à une pluie de communiqués, interventions, communications, démonstrations des mesures prises au Nord, rendant encore plus criante l’inégalité dans l’accès aux soins entre citoyens du Nord et citoyens du Sud. Côté positif : sur le terrain, les actions ont pris un coup d’accélérateur, même si certaines ne sont encore qu’à l’état de promesses ou de confirmation de projets prévus de longue date mais pas encore mis en place.
En France par exemple, la ministre de la Santé Marisol Touraine a fait moultes déclarations, s’est déplacée plusieurs fois à l’aéroport Charles de Gaulle pour commenter les mesures mises en place pour prévenir… alors qu’aucun cas d’Ebola n’est avéré en France. Pourtant les spécialistes précisent que le virus ne supporte pas l’air confiné d’un avion, qu’un malade en incubation n’est pas contagieux… et un malade qui commence à déclencher la maladie est dans un tel état qu’il serait incapable de prendre un quelconque moyen de transport. Si l’on peut se féliciter des mesures préventives prises, cette débauche d’information a aussi eu pour conséquences d’entraîner des réactions de rejet et de stigmatisation de personnes originaires des pays atteints dans différents points du territoire français : manifestation de parents d’élèves contre un jeune enfant guinéen scolarisé en banlieue parisienne, rejets violents de ressortissants guinéens dans d’autres villes, simplement parce qu’ils sont originaires de ce pays… ou parfois rejets de citoyens africains « des fois que… ». L’autre constat que l’on peut dresser et le fossé criant qui existe entre la débauche de moyens disponibles au Nord et la misère dans laquelle se trouvent la plupart des centres de traitement du virus dans les trois principaux pays concernés.
Le revers de la médaille, c’est la panique créée par cette surconsommation de communication qui a entraîné de son côté des attitudes stigmatisant[2] les pays touchés par le virus et les malades. Certains pays ont décidé de fermer leurs frontières (comme le Sénégal) encourageant les passages de frontières clandestins, et donc l’absence de contrôle sanitaire et le risque de propager la maladie, et entraînant la chute des échanges commerciaux dans la région frontalière, mettant ainsi des familles et des villages entiers en faillite. Ou encore le Canada qui a décidé de ne plus délivrer de visa d’entrée aux citoyens venant des pays atteints par le virus ; les Etats-Unis qui décident d’appliquer une quarantaine y compris à leurs soldats et soignants envoyés lutter contre Ebola même s’ils ne présentent aucun signe de quoi que ce soit. Beaucoup de compagnies aériennes ont cessé de desservir les pays concerné. On peut en suivre l’évolution grâce à l’organisation International SOS[3] qui a dédié un site particulier à Ebola, qui permet de suivre au jour le jour la liste des pays ayant fermé leurs frontières, en particulier aériennes, aux ressortissants des pays touchés par le virus.
Le développement de la maladie enfin connu, on a pu constater que les laboratoires pharmaceutiques et les centres de recherche publics et privés accéléraient leurs travaux sur les tests de dépistage et les vaccins, annonçant des possibilités réelles pour 2015. On peut s’étonner d’ailleurs du nombre de laboratoires travaillant sur Ebola puisque la compétition actuelle concerne des laboratoires publics et privés du Canada, des Etats-Unis, de France, de Grande Bretagne, de Russie et apparemment même de Chine et du Brésil. Si certains programmes de recherche sont bien menés dans un objectif de lutter contre une maladie terrible, on peut aussi trouver l’explication dans le fait que ce virus pourrait être utilisé comme arme biologique, ce qui suppose de trouver aussi l’antidote. Il fait d’ailleurs partie des différents agents viraux susceptibles d’être utilisés dans des armes biologiques recensés par le Bureau des affaires du désarmement des Nations unies[4]. D’un autre côté, les enjeux financiers sont colossaux et annoncent de substantiels profits aux heureux élus qui trouveront le remède. Mais pour l’instant les fonds manquent. Sur les 988 millions de dollars requis auprès des Etats par les Nations unies, fin octobre n’étaient arrivés que 377 millions.
Des conséquences catastrophiques
Le résultat de cette stigmatisation conduit à une hausse du prix des denrées alimentaires de première nécessité de 24 % selon le Programme alimentaire mondial (PAM) et à une baisse de la croissance du PIB guinéen de 2 à 3 %. Selon une estimation de la Banque mondiale, qui évalue l’impact de cette maladie comme pire qu’un « embargo économique », les dégâts causés pourraient coûter à l’Afrique 32 milliards de dollars (25 millions d’euros) d’ici fin 2015.
Importations et exportations chutent. Ecoles et universités sont fermées. Les investissements et la plupart des projets de développement sont à l’arrêt ou au ralenti mettant clairement en cause l’avenir du pays qui commence tout juste à sortir d’années de crise et de conflits. Le risque de déstabilisation politique est réel, avec un calendrier électoral qui s’annonce chaud entre élections locales et élections présidentielles en 2015 et le développement de ce que les Guinéens ont coutume d’appeler l’ethnocentrisme[5]. Au risque sanitaire s’ajoutent donc les conséquences économiques, sociales et politiques qui pourraient être totalement catastrophiques… et coûter encore plus cher à la « communauté internationale » en investissements de reconstruction sociale et politique et de relance économique que le coût de l’éradication d’Ebola ! Et pour éviter cette débâcle, ce qu’il faut aujourd’hui c’est isoler le virus, pas le pays ni ses habitants[6] !
L’exemple de Télimélé, la ville guinéenne qui a vaincu Ebola
Télimélé est l’une des préfectures les plus pauvres de Guinée. Ses 300 000 habitants se trouvaient assez loin de l’épicentre d’Ebola. Mais, en mai, une de ses habitantes a rendu visite à un oncle malade à Conakry, elle en est revenue atteinte pensait-on de fièvre typhoïde. Elle est morte rapidement ainsi que deux autres proches. D’autres membres de sa famille, atteints des même symptômes, ont consulté le centre de santé le plus proche et les résultats sont arrivés rapidement de Conakry : c’était Ebola.
Une réponse rapide a été mise en place avec MSF en créant une zone d’isolement sur place, puis un appui technique de l’OMS. Mais surtout les autorités locales se sont fortement impliquées en mettant sur pied un comité de crise réunissant des experts de tous les domaines de la vie quotidienne locale. C’est ainsi que les griots ainsi que les leaders religieux et traditionnels ont collaboré à la campagne d’information ce qui a permis de gagner la confiance de tous et de vaincre les rumeurs infondées sur les origines et la transmission de la maladie. Ce comité a diffusé un message fort « Pour survivre, faites-vous soigner au plus tôt ; si vous attendez, vous mourrez ». Une équipe de 14 personnes a sillonné la zone en motocyclettes à la recherche des personnes susceptibles d’être atteintes. Au plus fort de la flambée, 250 personnes étaient suivies. Sur les 26 cas recensés, 10 personnes sont décédées, soit un taux de mortalité de 38% bien inférieur à celui de la Guinée qui est de 60%. En juillet Ebola était éradiqué à Télimélé et aucun cas n’y a été recensé depuis.
http://www.who.int/features/2014/telimele-ebola-free/fr/
Pour en savoir plus :
– Hommes & Libertés, 2014 (à paraître), « Les non-dits d’une réponse dans l’urgence à l’épidémie d’Ebola »,Auriane Guilbaud
– OMS
– Bureau des affaires du désarmement des Nations unies
– Site de l’Ambassade de France en Guinée
– RFI
– MDM
– MSF
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[1] Le virus Ebola a été découvert en 1976 au Zaïre devenu RDC ; il porte le nom de la rivière proche de Yambuku, zone où les premiers cas ont alors été recensés. Ce virus apparaît et disparaît ; il semblerait que la déforestation soit une des causes de son déplacement. Ce sont les animaux qui sont porteurs du virus (chauves-souris et singes étant les principaux réservoirs) et c’est en les chassant et en les mangeant que les personnes sont atteintes.
[2] La stigmatisation a franchi les frontières puisque, outre les exemples cités plus haut en France des attitudes identiques sont recensées dans de nombreux pays (Espagne, Etats-Unis…).
[3] https://www.internationalsos.com/ebola/
[4] Cf. Bureau des affaires du désarmement des Nations unies
[5] L’ethnocentrisme contribue à augmenter les tensions ethniques, certains hommes politiques utilisant régulièrement sur l’appartenance ethnique
[6] Cf. la tribune signée par plus de 200 organisations françaises et guinéennes parue dans « Rebonds » du journal Libération du 14 novembre 2014