Chronique de jurisprudence

Par Patrick Canin, secrétaire général adjoint de la LDH

 

– Avis de la Cour de cassation n° 15010 et 15011 du 22 septembre 2014

La Cour de cassation avait été sollicitée, pour avis, par deux cours d’appel d’une question ainsi libellée (du moins pour la plus complète) : « L’accès à la procréation médicalement assistée, sous forme d’un recours à une insémination artificielle avec donneur inconnu à l’étranger par un couple de femmes est-il de nature, dans la mesure où cette assistance ne lui est pas ouverte en France, en application de l’article L.2141-2 du Code de la santé publique, à constituer une fraude à la loi sur l’adoption, et notamment aux articles 343 et 345-1 du Code civil, et au Code de la santé publique empêchant que soit prononcée une adoption de l’enfant né de cette procréation par l’épouse de la mère biologique ? ».

La Cour de cassation répond qu’elle est d’avis que « le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle, avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

Ces avis sont à rapprocher des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme du 26 juin 2014 (Mennesson c. France, requête n° 65192/11 et Lebasse c. France, requête n° 65941/11 – voir à ce sujet la chronique de jurisprudence dans la précédente lettre d’information) qui, à propos de la gestation pour autrui, a condamné la France pour violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en raison du refus des autorités françaises de transcrire, en France, les filiations établies à l’étranger, transcriptions sollicitées par des ressortissants français qui avaient recouru aux Etats-Unis à la gestation pour autrui interdite en France (violation du droit des enfants à la vie privée).

 

– Arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme du 2 octobre 2014, Matelly c. France (requête n° 10609/10) et ADEFDROMIL c. France (requête n° 32191/09)

Dans la première affaire, le requérant était un officier de gendarmerie et chercheur associé dans un laboratoire rattaché au CNRS. En avril 2007, un forum sur Internet intitulé « Gendarmes et citoyens » avait été créé comme un espace « administré et modéré destiné à permettre l’expression et l’échange entre les gendarmes et les citoyens ». Fin mars 2008, une association baptisée « Forum gendarmes et citoyens » se constitua pour donner un cadre juridique à cet espace, le requérant en étant le fondateur puis le vice-président. Outre des civils et des gendarmes retraités, d’autres militaires de la gendarmerie en activité participèrent à l’association en tant que membres, certains siégeant d’ailleurs au conseil d’administration. Outre la responsabilité dudit forum Internet, l’association procéda à l’édition d’une revue de presse et d’une revue numérique. Le requérant informa par courrier le directeur général de la gendarmerie nationale de la création de l’association, en précisant que si l’association avait pour but de permettre aux militaires en activité d’exercer les « nouvelles possibilités d’expression offertes par leur statut » elle n’avait aucunement un caractère professionnel, son objet étant centré sur la communication.

Au lendemain de la publication au Journal officiel de la République française de la création de l’association, le directeur général de la gendarmerie nationale donna l’ordre au requérant et aux autres gendarmes en activité, membres de l’association, d’en démissionner sans délai. Le requérant démissionna puis saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision ministérielle de confirmation de la décision du directeur général de la gendarmerie nationale. La haute juridiction rejeta le recours au motif, notamment, que l’association « Forum gendarmes et citoyens » constituait un groupement professionnel, son objet étant, entre autres, la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes, ce qui est prohibé par l’article L.4121-4, alinéa 2, du Code de la défense (« L’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical, ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire »), cette disposition constituant, selon le Conseil d’Etat, une restriction légitime au regard des articles 10 (liberté d’expression) et 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Saisi par le requérant, la Cour européenne des droits de l’Homme a considéré que la France avait violé l’article 11 de la Convention précitée et l’a condamnée. La Cour relève, en premier lieu, que l’ordre donné au requérant de ne plus adhérer à l’association s’analyse en une ingérence de l’Etat défendeur dans l’exercice des droits garantis par l’article 11 de la Convention, ingérence prévue par la loi. Elle considère, en second lieu, que cette interdiction poursuivait un but légitime de préservation de l’ordre et de la discipline nécessaires aux forces armées dont la gendarmerie fait partie. Cependant, la Cour constate que les dispositions du Code de la défense interdisent purement et simplement l’adhésion des militaires à tout groupement de nature syndicale. Certes, relève la Cour, cette interdiction ne traduit pas le désintérêt de l’institution militaire pour la prise en compte des situations et préoccupations matérielles et morales de ses personnels, ainsi que la défense de leurs intérêts puisque l’Etat a mis en place des instances et des procédures spéciales pour y veiller. Toutefois, la Cour estime que « la mise en place de telles institutions ne saurait se substituer à la reconnaissance au profit des militaires d’une liberté d’association, laquelle comprend le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier ». La Cour ajoute qu’elle est consciente de ce que la spécificité des missions incombant aux forces armées exige une adaptation de l’activité syndicale. Elle souligne que des restrictions sont prévues par l’article 11 mais elles « ne doivent cependant pas priver les militaires et leurs syndicats du droit général d’association pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux ». La Cour constate, en l’espèce, que les autorités internes n’ont aucunement tenu compte de l’attitude du requérant de se mettre en règle avec ses obligations et de la modification ultérieure des statuts pour les mettre en conformité avec les textes. En conclusion, la Cour estime que « les motifs invoqués par les autorités pour justifier l’ingérence dans les droits du requérant n’étaient ni pertinents ni suffisants, dès lors que leur décision s’analyse comme une interdiction absolue pour les militaires d’adhérer à un groupement professionnel constitué pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux. Si la liberté d’association des militaires peut faire l’objet de restrictions légitimes, l’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte, à l’essence même de cette liberté, une atteinte prohibée par la Convention ». Partant, l’ingérence « ne saurait passer pour proportionnée et n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 11 § 2 de la Convention ».

Dans la seconde affaire, la Cour conclut aussi à la violation de l’article 11 de la Convention en raison de l’interdiction pure et simple faite aux militaires de constituer un syndicat ou d’y adhérer. Il s’agissait d’une association qui avait été constituée par deux militaires, dont l’un était en activité, avec pour objet statutaire « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels, des militaires ». L’association exerça plusieurs recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’actes administratifs qui, selon elle, portaient atteinte à la situation matérielle et morale des militaires. Tous ces recours avaient été rejetés, pour irrecevabilité, par le Conseil d’Etat au motif que l’association contrevenait aux dispositions de l’article L.4121-4 précité du Code de la défense.

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