Par Patrick Canin, secrétaire général adjoint de la LDH
– Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), Grande Chambre, 11 novembre 2014. La Cour avait été saisie, sur renvoi préjudiciel (procédure utilisée lorsque surgit, devant une juridiction interne, une difficulté d’interprétation d’un texte communautaire) d’un tribunal social allemand, quant à l‘interprétation de divers articles du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’un règlement (n° 883/2004) et d’une directive 2004/38/CE). Les faits étaient les suivants : madame D., de nationalité roumaine, qui avait sollicité des prestations sociales en Allemagne, avait un fils qui était né en Allemagne, en 2009, puis, semble-t-il, elle avait quitté ce pays mais y était revenue le 10 novembre 2010 et avait obtenu de la ville de Leipzig, le 19 juillet 2011, une attestation de séjour à durée illimitée destinée aux ressortissants de l’Union européenne. Le 28 janvier 2013, cette ville lui avait, en outre, délivré un duplicata de cette attestation. Depuis leur arrivée à Leipzig, madame D. et son fils vivaient dans l’appartement d’une sœur de madame D., laquelle pourvoyait à son alimentation. L’arrêt relève par ailleurs que madame D., sans emploi, comprend la langue allemande oralement et est capable de s’exprimer de manière simple dans cette langue. Madame D. avait exercé tous les recours administratifs pertinents pour contester les refus de prestations sociales de base qu’elle avait demandées. En l’espèce, la question préjudicielle posée était donc de savoir si les instruments juridiques communautaires précités devaient être interprétés comme permettant de refuser à madame D. des prestations de l’assurance de base, en l’occurrence la prestation de subsistance pour madame D. et l’allocation sociale pour son fils, ainsi d’ailleurs que la participation aux frais d’hébergement et de chauffage, prévues par la législation allemande. En d’autres termes, de manière plus générale, il s’agissait de savoir si les dispositions du TFUE, de la directive de 2004 et du règlement de 2004 devaient être « interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un Etat membre en vertu de laquelle des ressortissants d’autres Etats membres, économiquement non actifs, sont exclus, totalement ou partiellement du bénéfice de certaines « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif » au sens du règlement n° 883/2004, alors que ces prestations sont garanties aux ressortissants de l’Etat membre concerné qui se trouvent dans la même situation ».
La Cour relève tout d’abord que le TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre, le statut de citoyen de l’Union et que ce statut a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des Etats membres permettant à ceux qui se trouvent dans la même situation d’obtenir, indépendamment de leur nationalité, le même traitement. Les citoyens de l’Union disposent ainsi du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres.
La Cour procède ensuite à une distinction selon les situations. Pour les séjours allant jusqu’à trois mois, la directive de 2004 limite les conditions ou les formalités du droit de séjour à l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou un passeport en cours de validité. La Cour précise que ce droit est maintenu « tant que le citoyen de l’Union et les membres de sa famille ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil ». Partant, l’Etat membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation sociale à un ressortissant d’un autre Etat membre ou aux membres de sa famille pendant cette période. Les citoyens de l’UE acquièrent le droit de séjour permanent après avoir séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’Etat membre d’accueil. Ce droit n’est pas soumis aux conditions ci-dessus évoquées. La Cour souligne que « le droit de séjour permanent, une fois qu’il a été obtenu, ne doit être soumis à aucune autre condition, et ce dans le but de constituer un véritable moyen d’intégration dans la société de cet Etat ».
La Cour examine ensuite plus précisément la situation des ressortissants citoyens de l’Union « économiquement non actifs », ont la durée de séjour dans l’Etat membre d’accueil a été supérieure à trois mois mais inférieure à cinq ans, comme c’était le cas pour madame D. La Cour précise que, pour apprécier s’ils peuvent prétendre à une égalité de traitement avec les ressortissants de l’Etat membre d’accueil pour ce qui concerne les prestations sociales, il y a lieu de vérifier si le séjour desdits citoyens respecte les conditions de la directive 2004. Parmi ces conditions, figure l‘obligation pour le citoyen de l’Union « économiquement non actif » de disposer, pour lui et les membres de sa famille, des ressources suffisantes. La Cour estime que le fait que « des personnes qui ne bénéficient pas d’un droit de séjour en vertu de la directive de 2004 puissent réclamer un droit à des prestations sociales dans les mêmes conditions que celles qui sont applicables pour les ressortissants nationaux, irait à l’encontre d’un objectif de ladite directive énoncé à son considérant 10, qui vise à éviter que les citoyens de l’Union ressortissants d’autres Etats membres deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil ». Elle ajoute qu’il convient de constater que la directive de 2004 cherche « à empêcher que les citoyens économiquement inactifs utilisent le système de protection sociale de l‘Etat membre d’accueil pour financer leurs moyens d’existence ». Elle admet dès lors « l’existence éventuelle d’une inégalité de traitement entre les citoyens de l’Union ayant fait usage de leur liberté de circulation et de séjour et les ressortissants de l’Etat membre d’accueil à l’égard de l’octroi des prestations sociales », considérant que c’est « une conséquence inévitable de la directive 204/38 ». La Cour souligne encore qu’un Etat membre doit donc avoir la « possibilité de refuser l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement inactifs qui exercent leur liberté de circulation dans le seul but d’obtenir le bénéfice de l’aide sociale d’un autre Etat membre alors même qu’ils ne disposent pas de ressources suffisantes pour prétendre au bénéfice d’un droit de séjour ».
Cet avis de la CJUE, qui associe le droit au séjour au droit à prestations sociales, a une portée limitée. D’abord, il ne peut être interprété qu’au regard des faits particuliers de l’espèce. Ensuite, il vise la situation des seuls ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et non les ressortissants des autres Etats. En outre, ne sont concernées que les « prestations sociales à caractère non contributif », et non toutes les prestations sociales. Enfin, devra être démontré le fait que le « citoyen économiquement inactif » a exercé sa liberté de circulation dans le « seul »but de bénéficier de l’aide sociale d’un autre Etat.