Par Sibel Agrali, directrice du centre de soins Primo Levi
La nouvelle réforme du droit d’asile qui a été discutée par les parlementaires récemment applique le « paquet asile » du Parlement européen, qui comprend les directives « Accueil », « Procédures » et « Qualification ». C’est dans ces textes que la notion de « vulnérabilité » est apparue, sans pourtant être réellement définie.
Ainsi, l’article 21 de la directive « Accueil » stipule :
« Dans leur droit national transposant la présente directive, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine. »
Cette liste non exhaustive laisse entrevoir des situations de vulnérabilité très diverses, aucune ne relevant nécessairement de l’évidence.
La notion de « vulnérabilité » est corrélée à la mise à disposition de conditions d’hébergement et de prise en charge matérielle ainsi qu’à des garanties procédurales spécifiques (déclassement de procédure accélérées à procédure normale ; sortie de zone d’attente ou de rétention). Être qualifié ou non de « vulnérable » et a fortiori de « victime de tortures ou de violences » pourrait donc, pour un demandeur d’asile, avoir des conséquences importantes en termes d’accès à un certain nombre de droits spécifiques, des droits « privilégiés » pourrait-on dire, car « les autres » – les non-vulnérables, les non-victimes – sont supposés être aptes à supporter un accueil tout venant (au rabais ?), une procédure accélérée, un séjour en rétention ?
Lorsqu’on est sur le terrain, c’est-à-dire au quotidien auprès des personnes exilées demandeuses d’asile, on se rend compte à quel point les situations sont complexes, les difficultés souvent cumulatives, les effets des conditions d’accueil retentissants sur les psychés.
Telle que la réforme est prévue cette « évaluation » revient aux « agents » de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) établissement public sous tutelle exclusive du ministère de l’Intérieur qui a pour objet la gestion des flux migratoires et le contrôle des étrangers. Un choix fort regrettable.
Cette forme d’évaluation de « la vulnérabilité » sous-tend que la personne, à peine arrivée sur le territoire français, puisse confier un discours de souffrance à un agent administratif inconnu, qui veillera alors à lui fournir un accueil convenable. Faut-il montrer, faire état de ses « vulnérabilités » au plus vite pour espérer pouvoir obtenir une place en centre d’accueil pour demandeurs d’asile sans attendre de longs mois ? Ou bénéficier d’un dispositif bienveillant et aménagé à l’Office français des personnes réfugiées ou apatrides (Ofpra) ? Tout acteur de terrain sait pourtant combien il est difficile pour toute personne ayant traversé des événements douloureux d’en faire état. Les sentiments de honte et d’insécurité, la méfiance généralisée sont très/trop prégnants. Aucune évaluation ne doit ressembler à une injonction à se dévoiler.
Le Centre Primo Levi est avant tout un centre de soins pluridisciplinaire pour les personnes victimes de la torture et de la violence politique – hommes, femmes, enfants, mineurs isolés – vivant en exil. Il est situé à paris et regroupe de médecins généralistes, des psychologues cliniciens (tous psychanalystes), des assistants sociaux, une juriste et du personnel pour l’accueil. L’équipe du centre prend en charge chaque année plus de 350 patients, originaires de plus de 40 pays pour des suivis d’une durée moyenne de deux ans. L’association Primo Levi a également mis en place un centre de formation pour les professionnels et a développé de nombreux outils pour informer et sensibiliser sur les effets de la torture et de la violence politique et la prise en charge des victimes.
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