Par Pierre Tartakowsky, président de la LDH
Les attentats, bien sûr ! Comment ne pas revenir, encore et encore, sur cette plaie ouverte, sur cette explosion de haine meurtrière ? Et comment faire l’économie d’un retour sur ses enjeux ? La violence de l’épreuve, sa traînée de haine interdisent évidemment que quiconque pense pouvoir tourner la page et revenir à un statu quo ante. Tout nous engage, au contraire, à penser présent et avenir en tirant leçon de l’événement.
D’abord, en ne laissant pas instrumentaliser les grandes mobilisations de solidarité qui ont envahi l’espace public : elles étaient tout entières tournées vers la liberté et la fraternité. Elles appellent des actes, des politiques publiques qui affrontent le racisme, l’antisémitisme, les discriminations, qui travaillent l’Europe et notre pays ; ensuite en mettant en garde – mieux encore, en nous mobilisant – contre les réflexes sécuritaires, surtout lorsqu’ils aboutissent à des résultats absurdes. Oui, l’école a un rôle à jouer face à l’intolérance ; non, ce rôle ne peut se ramener à celui d’auxiliaire de police. Conduire des gamins et des pré-ados au poste, pour une déclaration à l’emporte-pièce, c’est substituer la procédure répressive au nécessaire débat éducatif ; poursuivre un parent pour avoir « pénétré » dans l’école pour exprimer sa colère, c’est enterrer de fait la notion même de communauté éducative.
Ces pratiques sont des impasses dangereuses ; non seulement elles tuent le débat là où il s’agit de le faire vivre mais elles accentuent chez ceux qui sont stigmatisés l’idée, déjà bien présente, que, décidément, la promesse républicaine n’est pas pour eux…
L’époque a moins besoin de bâton que de raison ; cela passe par l’acceptation de la confrontation, par le conflit raisonné, par la formulation de nouveaux compromis à vivre, justement possibles sur la base des valeurs de la République et d’une laïcité garante de la liberté de conscience.
Il est d’autant plus important de le rappeler que d’autres périls frappent à la porte. Les attaques ignobles dont Christiane Taubira, garde des Sceaux, est à nouveau la cible, le résultat de l’élection partielle du Doubs l’illustrent avec force. Avec ses 60 % d’abstention, un FN triomphant et une droite dont une partie s’avère plus que jamais disponible à des alliances non républicaines – elle fournit un résumé saisissant la multiplicité des défis lancés à la face de la République : pauvreté de l’offre politique, démocratie anémiée, légitimation des thèmes racistes, tentations autoritaires…
Face à nous se dresse ainsi une mécanique folle de régression et de peurs dont les pôles, d’apparence antagonique, se renforcent l’un l’autre en une haine commune pour l’égalité et la liberté. Face à quoi nos peurs seront insuffisantes ; sachons mobiliser l’intelligence de la raison et le courage de la conviction.