Par Daniel Boitier, groupe de travail « Laïcité »
Le titre de l’ouvrage de Valentine Zuber, Le Culte des droits de l’Homme, indique explicitement son objet. Ce « culte » fait l’objet d’une analyse généalogique : le « modèle déclaratif », qu’on retrouve dans les déclarations de 93, 95, 98, 1848 et au-delà, est questionné à partir de l’histoire de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC), contenue dans les deux mois de l’été 89. « La religion civile des droits de l’Homme » est interrogée comme pièce (laborieusement élaborée dans l’histoire de la République) du « crédo républicain ».
La démarche historienne permet de dessiner en creux ce qui fait problème dans notre actualité et où s’originent nos difficultés : invocation incantatoire de la France, pays des droits de l’Homme, déclinaison des valeurs de la République, incluant ou pas la référence à la DDHC, pédagogie des droits de l’Homme (et des devoirs)… Questions d’actualité qu’affronte la conclusion du livre, sans se dérober polémiquement à ce curieux (scandaleux ?) « ré-enchantement » de la laïcité « grâce à l’apparition d’un nouvel ennemi à circonvenir : l’islam », « ré-enchantement » que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui…
Les chapitres consacrés à « la critique des droits de l’Homme » éclairent les ambiguïtés des soubassements philosophiques et politiques de la DDHC, et contribuent à problématiser cette sacralisation des droits de l’Homme… Les critiques de droite (Burke, Taine) sont peut-être plus connues que les critiques sociales (Louis Blanc, Marx…). Quand la Ligue des droits de l’Homme, à l’occasion de son congrès de Dijon du 21 juillet 1936, propose de prolonger la déclaration de 89, elle se place dans le droit fil de la nécessité d’un 89 économique et la continuité de cette critique sociale.
A la lumière de l’histoire de la République, et en particulier du long refus républicain de constitutionnaliser la DDHC, on peut dire, avec l’historienne, que le régime républicain « a été marqué par un réel déficit démocratique, ce en dépit de la précocité de l’énonciation des droits de l’Homme dans sa tradition politique, […] et des arguments enthousiastes de certains juristes au moment du bicentenaire de 1789 ». (p.323)
La LDH, qui se créé avec l’Affaire Dreyfus, est un témoin de la critique envers les manières dont l’Etat, même républicain, cherche à s’approprier une revendication des droits qui devrait rester « par essence, un contre-pouvoir » comme le défendait encore Yves Jouffa en 1988. Valentine Zuber rappelle (p. 357) opportunément les critiques adressées par le président de la LDH aux initiatives du ministre de l’Education nationale de l’époque, qui voulait intégrer la formation aux droits de l’Homme dans l’Ecole…
On lira avec une particulière attention les dernières pages du livre. S’y lit le souci qu’une déconstruction généalogique ne détruise la dimension d’utopie des droits de l’Homme, où nous pouvons lire un désir de maintenir un principe d’espérance. On restera cependant embarrassé par une forme de fidélité envers « une permanence du théologico-politique » (selon la formule de Claude Lefort) dans la République, qui nous paraît plus problématique que ne veut bien le dire Valentine Zuber.
Le Culte des droits de l’Homme
Valentine Zuber
Gallimard 2014
26 euros