Préoccupations quant aux entraves aux libertés d’association et d’expression au Kirghizstan
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Paris-Genève, le 23 mars 2015
Monsieur le président de la République,
A l’occasion de la visite du président Almazbek Atambayev en France le 25 mars prochain, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), ainsi que la Ligue française des droits de l’Homme (LDH), vous appellent à démontrer l’engagement de la France pour la défense des droits humains et à inscrire la protection des défenseurs et des libertés d’association et d’expression à l’agenda des discussions avec votre homologue kirghiz.
Nous vous invitons à porter une attention particulière au projet de loi sur les « Organisations non-commerciales » et sur l’« Enregistrement étatique de personnes morales et de leurs branches », dit projet de loi sur les « agents de l’étranger », actuellement en discussion au Parlement kirghiz. Ce projet de loi, inspiré de l’exemple russe qui a conduit en Russie à la fermeture de plus de 40 ONG nationales, risque de porter lourdement atteinte à la capacité de la société civile kirghize à mener ses activités librement, ainsi qu’aux libertés d’association et d’expression. Selon le projet de loi, les ONG impliquées dans des « activités politiques » et financées par des programmes étrangers seront considérées comme des agents de l’étranger et seront obligées de se soumettre à des contrôles administratifs et financiers supplémentaires. Le projet de loi qualifie d’« activité politique » toute tentative d’influencer la vie publique au Kirghizstan, pénalisant ainsi les groupes de plaidoyer et autres ONG visant à améliorer les politiques publiques au niveau national. La notion vague d’« activité politique » laisse libre cours à des interprétations extensives visant à réprimer les organisations de la société civile.
Nous tenons à souligner que le terme « agent de l’étranger » risque non seulement de stigmatiser la société civile au Kirghizstan mais aussi d’infliger des sanctions graves aux ONG : le non-respect des dispositions de la future loi, si elle était adoptée, conduirait en effet à la suspension des activités d’ONG voire à leur fermeture définitive. La Commission de Venise du Conseil de l’Europe, le Représentant officiel de l’ONU au Kirghizstan et la communauté des ONG au Kirghizstan ont exprimé leur préoccupation quant à la nature répressive du projet de loi et à son caractère contraire au droit international.
Un autre projet de loi préoccupant au Kirghizistan vise à interdire la « propagande des relations sexuelles non-traditionnelles» dans les médias ou sur internet, lors de rassemblements publics ou de toute autre manière, et prévoit des sanctions administratives et pénales pouvant aller jusqu’à une année d’emprisonnement. Ce projet de loi a été approuvé par une grande majorité de parlementaires en première lecture en octobre 2014. Un vote en deuxième lecture devrait intervenir sous peu.
Ce projet de loi a été condamné par la société civile et les organisations de défense des droits humains comme discriminatoire et attentatoire aux libertés d’expression, de rassemblement et aux autres libertés fondamentales protégées par la Constitution kirghize et les instruments internationaux ratifiés par le Kirghizistan.
Votre rencontre officielle avec le président Almazbek Atambayev est également une occasion de soulever le sujet de la justice sélective administrée aux victimes de violations des droits humains et à leurs défenseurs suite aux violences inter-ethniques de 2010. Victime d’erreur judiciaire, défenseur des droits humains au Kirghizstan, M. Azimjan Askarov, condamné à perpétuité lors d’un procès jugé inéquitable par plusieurs organisations de défense des droits humains, dont la FIDH et l’OMCT, et marqué par de nombreuses violations de procédures, n’a pu bénéficier d’un réexamen de son cas, malgré la survenance de nouvelles circonstances et les multiples appels formulés par son avocat. Par ailleurs, l’attestation d’état de santé de M. Askarov, récemment reçue par la FIDH, soulève de graves préoccupations et nous incite réitérer notre appel à sa libération immédiate et inconditionnelle.
Nous pensons que la visite du président Almazbek Atambayev est l’occasion pour la France de faire avancer la cause des droits humains au Kirghizstan. Nous vous prions d’exiger de votre homologue kirghiz le respect des normes internationales au Kirghizstan, en mettant notamment son veto aux projets de loi sur les « agents étrangers » et sur la « propagande des relations sexuelles non-traditionnelles », et en appelant à la libération immédiate et inconditionnelle du défenseur des droits humains Azimjan Askarov.
En espérant que vous porterez une attention particulière à nos préoccupations et que vous porterez celles-ci auprès du président Almazbek Atambayev, nous vous prions d’agréer, Monsieur le président, l’expression de notre plus haute considération.
Karim LAHIDJI
Président de la FIDH
Pierre TARTAKOWSKY
Président de la LDH
Gerald STABEROCK
Secrétaire général de l’OMCT