Par Pierre Tartakowsky, président de la LDH
Trois mois après la série d’attentats qui ont ensanglanté la capitale en janvier dernier, nous vivons encore à l’ombre de leurs gestions politiques, qui tiennent, pour l’essentiel, en une série d’annonces dont l’esprit est parfaitement résumé par l’expression « faire flèche de tout bois ».
Branches tordues et souches pourries au programme…
On pense évidemment d’abord au projet gouvernemental visant à « sortir » les délits d’insultes racistes et antisémites de la loi de 1881 sur la presse. Il s’agirait, nous explique-t-on, d’être plus ferme, plus rapide, de faire fi des arguties de la défense, bref, de se doter enfin d’une justice qui soit à la mesure des périls. Le problème… Le problème est ailleurs. Les peines ? Elles existent, elles sont lourdes. La loi de 1881 serait lente ? Mais c’est la justice qui est lente, handicapée par son manque de moyens, matériels et humains. Limiter – car c’est de cela qu’il est en fait question – les droits de la défense ? Il y a mieux pour faire progresser la justice… Le vrai problème tient à la caractérisation du délit, toujours difficile à établir en la matière, plus difficile en fait que pour un braquage de banque, une escroquerie à la carte de crédit ou un crime passionnel.
La mesure que l’on tente de nous vendre comme une panacée relève en fait d’une « illusion répressive » ; si elle devait devenir réalité, gageons qu’elle engendrerait affolement, tensions, provocations. Dans le même ordre d’idées, on a pu mesurer ce qu’avait entraîné la mesure sortant – déjà – « l’apologie de terrorisme » de la loi de 1881 : multiplication d’enfants, d’adolescents et d’enseignants traînés devant la police ou suspendus. Avec, à la clé, un sentiment prégnant d’injustice.
De la même façon, la démarche des députés pyromanes qui remettent sur la table un projet de loi interdisant le port de signes religieux dans les crèches privées donne la mesure d’un acharnement islamophobe imbécile et extrêmement dangereux en ce qu’il porte en lui la démonstration claire et méprisante du refus de l’autre quand cet autre est – ou soupçonné d’être – musulman. Dans un tel contexte, les déclarations du Premier ministre sur « l’apartheid » en France ou sa « peur » devant le Front national risquent fort d’alimenter – plutôt que combattre – l’ethnicisation détestable du débat public.
On voudrait alimenter une société de défiance et de violence, aux antipodes des valeurs d’égalité et de fraternité qui sont aux fondements de la République, que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Lutter contre le racisme, l’antisémitisme, contre l’islamophobie et les discriminations appelle en fait d’articuler des mesures d’ordre politique et juridique ; des mesures sur les terrains territoriaux, de l’emploi, du logement. Cela suppose aussi et surtout de dégager la laïcité de tous les délires laïcistes et islamophobes, bref, de cesser de faire flèche de tout bois. D’évidence, beaucoup reste à faire…