Lettre ouverte à François Hollande en amont de sa visite en Azerbaïdjan
Monsieur le Président de la République,
Lors de votre dernière visite officielle à Bakou les 11 et 12 mai 2014, vous aviez rencontré Leyla Yunus, directrice de l’Institut pour la Paix et la Démocratie (IDP), Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur de la République française, et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT. Quelques semaines plus tard, elle et son mari, Arif Yunusov, étaient arrêtés dans le cadre d’une vague de répression sans précédent à l’encontre des défenseurs des droits humains en Azerbaïdjan.
Leyla et Arif restent tous deux en détention préventive à ce jour, sur la base d’accusations fallacieuses de « fraude à grande échelle » ou encore de « trahison d’État », en raison de leurs activités légitimes de défense des libertés et de leurs initiatives de réconciliation des peuples arménien et azéri sur la question du Haut-Karabagh.
Les 24 et 25 avril prochains, vous vous rendrez à Erevan puis à Bakou, où vous rencontrerez à nouveau le président Ilham Aliyev. A l’occasion de cette visite, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), ainsi que la Ligue française des droits de l’Homme (LDH), vous appellent à démontrer publiquement l’engagement de la France pour la défense des droits humains et à inscrire la protection des défenseurs et des libertés à l’agenda des discussions avec votre homologue azéri.
Depuis votre dernière rencontre avec le président de la République d’Azerbaïdjan, et à l’approche des premiers « Jeux européens » qui se tiendront à Bakou en juin prochain, la répression des défenseurs des droits humains et de la société civile s’est en effet encore intensifiée. Le 16 avril 2015, M. Rasul Jafarov, président du Club des droits humains d’Azerbaïdjan, a été condamné à six ans et demi de prison suite à trois mois de procès au cours desquels aucune preuve de sa culpabilité n’a été apportée. Condamné sur la base d’accusations fallacieuses d’« activités illégales », « évasion fiscale » et d’« abus de pouvoir », M. Jafarov est arbitrairement détenu depuis le 2 août 2014.
Le procès de M. Intigam Aliyev, avocat et président de la « Legal Education Society », est par ailleurs en cours devant les juridictions azéries, sur la base de motifs analogues.
En outre, M. Anar Mammadli, président du Centre d’études sur la supervision électorale et la démocratie et M. Hilal Mammadov, rédacteur-en-chef du journal Tolishi-Sado (La Voix des Talysh), ont été condamnés à la suite de procès iniques fondés sur de fausses accusations dans le but de limiter leurs activités en faveur des droits humains, et restent détenus à ce jour.
Enfin, Mme Khadija Ismailova, journaliste d’investigation indépendante, et M. Rauf Mirqadirov, ancien correspondant du journal Zerkalo en Turquie, extradé vers l’Azerbaïdjan en avril 2014, restent tous deux en détention préventive dans l’attente de leur procès.
En outre, nous tenons à exprimer notre vive préoccupation au regard de l’état de santé de certains défenseurs des droits humains et journalistes indépendants azéris. Mme Yunus souffre en effet d’une maladie connue sous le nom d’hépatomégalie. Elle a été examinée en décembre 2014 par un médecin allemand, Christian Witt, dont le diagnostic officiel n’a pas été rendu public. Elle souffrirait également de problèmes de vue et continue de perdre du poids. Atteinte d’un diabète sévère, elle ne peut recevoir les paquets de nourriture nécessaires à son régime pour diabétique. M. Arif Yunusov se trouve également dans des conditions de santé préoccupantes : il souffre en effet d’insomnie et d’hypertension. En outre, l’état de santé de M. Intigam Aliyev et de M. Anar Mammadli en détention se sont détériorés.
Tous ces cas s’inscrivent dans le cadre d’une campagne de répression délibérée visant à restreindre la liberté d’expression et d’association en Azerbaïdjan. Nous sommes particulièrement préoccupés par le contexte de durcissement général dans l’ancien espace soviétique et par la diffusion de lois liberticides depuis la Russie.
Nous pensons que votre prochaine visite à Bakou est l’occasion pour la France de faire avancer la cause des droits humains en Azerbaïdjan. Nous vous prions d’exiger publiquement de votre homologue azéri le respect des normes internationales en Azerbaïdjan et l’arrêt de la répression du droit à la liberté d’expression et des représailles à l’encontre des ONG indépendantes.
Nous vous demandons en particulier d’exiger de votre homologue azéri la libération de Leyla Yunus pour des raisons humanitaires.
Nous vous appelons en outre à conditionner la présence d’officiels d’états européens, et en particuliers français, à la cérémonie d’ouverture des « Jeux européens » de Bakou à la libération de tous les défenseurs actuellement détenus.
Nous espérons que vous porterez une attention particulière à nos préoccupations et que vous porterez celles-ci publiquement auprès du Président Ilham Aliyev.
Karim Lahidji, président de la FIDH
Pierre Tartakowsky, président de la LDH
Yves Berthelot, président de l’OMCT