Le 20 septembre dernier, la LDH a lancé, du Camp des Milles, un appel conjoint avec la Licra, le Mrap et SOS Racisme, intitulé « Pas une voix pour les candidats du racisme et de l’antisémitisme ! » et publié ce même jour dans Le Monde. Retour sur une démarche.
LDH (Lettre droits de l’Homme) : Quel est l’objectif de la LDH lorsqu’elle s’engage dans cette démarche unitaire à partir du Camp des Milles ?
Pierre Tartakowsky : Cela fait trois questions en peu de mots. Les raisons de fond en sont très claires. Comme le souligne d’emblée notre appel, le racisme et l’antisémitisme progressent dangereusement, provoquent la montée de haines et de violences, de plus en plus meurtrières. Cette situation, dont tout indique qu’elle ne va pas s’apaiser d’elle-même, tout au contraire, justifie un cri d’alarme et que ce cri soit le plus unitaire possible. Cette volonté unitaire relève d’un constat simple, incontournable : le mouvement antiraciste n’est pas à la hauteur des défis qui lui sont posés, des difficultés qu’il doit affronter. Un tel contexte implique de consacrer plus d’efforts à combattre les adversaires communs qu’à se déchirer. Ce constat ne signifie évidemment pas que les différends entre organisations s’effacent comme par miracle ; nous avons, avec les uns et les autres, des divergences, voire des désaccords nets et importants qu’il ne s’agit pas de nier. Mais nous refusons de nous laisser paralyser par eux et considérons que ce qui nous différencie les uns des autres est largement moins important que ce qui nous rassemble. Nous avons enfin répondu présents à la proposition du Camp des Milles, à la fois parce que c’est un lieu de mémoire, au sens propre du terme, qui témoigne de façon pédagogique du caractère insupportable et dangereux des mécaniques d’exclusion racistes, et parce qu’il est au cœur d’une région où s’exerce pleinement la capacité de nuisance du Front national et de ses thématiques toxiques. Ce qui nous amène à l’enjeu central de cet appel : faire en sorte que les candidats enclins à flirter avec les thématiques du racisme et de l’antisémitisme recueillent le moins de voix possible lors des élections régionales.
LDH : Mais ces élections mettent en jeu bien d’autres problématiques que le racisme ; pourquoi isoler celle-ci ?
Pierre Tartakowsky : Comme pour chaque campagne électorale, la Ligue entend s’impliquer dans le débat public sur l’ensemble des thématiques qu’elle porte. C’est particulièrement vrai s’agissant de cette consultation, puisqu’elle accompagne une redéfinition territoriale des régions et de leurs compétences. La Ligue sera donc présente sur les enjeux de la démocratie, de la justice sociale, de la défense des étrangers ; et elle sera également présente sur les enjeux de fraternité, face aux candidats du Front national, face à tous ceux qui en banalisent les thèmes, voire les concurrencent… Cette démarche spécifique sur le racisme s’inscrit dans une stratégie de rassemblement qui a toujours caractérisé la LDH. De la même façon que la Ligue participe à la vie et l’animation de « Pour un avenir solidaire » ou de rassemblements du même type face à l’extrême droite, elle entend être au cœur des rassemblements et des débats qui se mènent contre le racisme, l’antisémitisme, les acteurs de haine. Le contexte nouveau créé par l’afflux de réfugiés témoigne, hélas !, du bien-fondé de cette démarche, de même d’ailleurs que la multiplication des discours publics qui, sous une forme ou une autre, portent une logique d’exclusion. Lorsque le maire de Béziers organise un happening télévisé pour dire aux réfugiés qu’ils « ne sont pas les bienvenus », il ne fait que souligner l’urgence à élaborer une contre-offensive démocratique. D’où notre appel à la capacité individuelle et collective à ne plus rien laisser passer, et à convaincre, autour de soi comme sur Internet, en soulignant qu’il en va de la responsabilité de tous : élus, responsables politiques, journalistes, hommes de culture et plus encore citoyens et électeurs.
LDH : Pointer ainsi la responsabilité de tous, n’est-ce pas un peu « noyer le poisson » et laisser passer sous la table le rôle décisif des politiques publiques ?
Pierre Tartakowsky : Souligner « il en va de la responsabilité des élus », c’est bien pointer le poids des politiques publiques, à commencer évidemment par celles de nos gouvernements successifs. De même, lorsque l’appel déclare que la montée des haines et des violences est « nourrie par des discours démagogiques qui se saisissent de difficultés objectives, de peurs et de colères […] au prétexte de répondre aux problèmes qu’affrontent le monde et donc nos sociétés », il n’est pas en dehors du réel. Au-delà, cet appel répond à un objectif précis et important : contribuer à un sursaut, un coup d’arrêt. Il ne constitue ni un début – puisqu’il s’inscrit dans la suite du mouvement de protestation que nous avions organisé après les insultes proférées à l’encontre de Christiane Taubira – ni un quelconque aboutissement. Il s’agit simplement d’une étape, d’une étape qu’il faut souhaiter importante, dans l’émergence d’un acteur antiraciste dans le débat public.
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