Lettre ouverte concernant la discussion de la proposition de loi n° 3109 / « prévention et à la lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs »
Mesdames, Messieurs les Députés,
Vous allés être amenés à vous prononcer en première lecture sur la Proposition de loi relative à « la prévention et à la lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs», dont le gouvernement a demandé l’examen en urgence, amputant à nouveau le débat, au Parlement comme dans la société civile.
Cette proposition de loi donne des pouvoirs importants au personnel des sociétés de sécurité de la SNCF et de la RATP en matière de palpations de sécurité, d’inspections visuelles des bagages et de fouilles.
De tels pouvoirs, attentatoires aux libertés individuelles, ne peuvent être admis, dans une société démocratique, que s’ils sont accompagnés de garanties particulières et d’un contrôle accru.
Or non seulement cette proposition de loi confie ces pouvoirs à des agents privés de sécurité qui n’auront reçu aucun agrément puisqu’il suffira qu’ils « justifient d’une aptitude professionnelle » pour en user, mais, surtout, ils pourront être exercés « en cas de circonstances particulières liées à l’existence de menaces graves pour la sécurité publique », sans qu’aucun motif objectif et individualisé propre à la personne visée par le contrôle ne soit exigé. Ce défaut de fondement objectif et individualisé, conjugué à l’absence d’un système de récépissé attestant de la mesure de palpation ou de fouille ouvre la porte à un usage arbitraire de ces pouvoirs et à des abus importants en termes d’atteinte aux libertés individuelles, de respect de la vie privée, de liberté de circulation et de non-discrimination.
Certes le dispositif prévoit que les palpations de sécurité, les inspections visuelles des bagages et les fouilles par les agents de sécurité ne pourront se faire qu’avec « le consentement express de la personne », mais outre que ce consentement sera manifestement très contraint en pratique, il pourra être passé outre un refus sur simple instruction du procureur de la République.
Le 11 décembre 2015, le Défenseur des droits a rendu public un avis motivé sur ce projet, par lequel il préconise de « préciser les circonstances, les motifs et les critères objectifs de sélection d’un passager qui se verrait obligé de se soumettre à de telles contraintes » et de « mettre en place un système de traçabilité ».
La proposition de loi introduit en outre un article 78-7 dans le code de procédure pénale, destiné à faciliter la mise en œuvre, dans les transports, des contrôles d’identité sur réquisitions du procureur de la République, qui peuvent être opérés sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un motif lié au comportement de la personne visée.
Nous appelons votre attention sur le fait que les pratiques de contrôles d’identité, palpations et fouilles sur la voie publique n’ont aucune efficacité avérée dans la prévention d’actes terroristes. Dans les pays où des données sur les contrôles et leurs résultats sont collectées et rendues publiques, cette inefficacité est démontrée. Au Royaume Uni, par exemple, 117 278 contrôles et fouilles visant à prévenir des actes terroristes étaient pratiqués dans la période de 2007 – 2008 selon les données officielles et aucun de ces contrôles n’a amené à une condamnation liée au terrorisme. Plus généralement, il est aujourd’hui bien connu que des contrôles et fouilles, malheureusement trop souvent discriminatoires, ne sont pas efficaces.
Nos organisations travaillent depuis plusieurs années, sur la question des contrôles d’identité abusifs et sur la possibilité de renforcer l’efficacité de la police en ne recourant aux contrôles d’identité que sur la base de critères objectifs et individualisés. Alors que des villes comme New York ont réussi, sous l’impulsion politique de son maire, à diviser le nombre de contrôles d’identité par vingt sans que la délinquance ne croisse, il nous parait paradoxal que le Parlement français élargisse à nouveau le champ des palpations, fouilles et contrôles d’identité alors que ceux-ci sont réputés être souvent discriminatoires à l’égard des personnes noires ou arabes.
On le sait, la perception d’un usage discriminatoire du pouvoir de contrôle entraîne une baisse de confiance dans les forces de l’ordre. Lorsque la confiance dans la police s’effondre, les populations deviennent réticentes à lui signaler les activités criminelles ou suspectes et se montrent peu disposées à coopérer et à fournir des renseignements.
Nous avons de sérieuses raisons de penser que si la proposition de loi est adoptée, sa conformité aux engagements internationaux de la France sera contestée devant les tribunaux et, in fine, devant la Cour européenne des droits de l’Homme, dont la jurisprudence indique qu’elle condamnera une loi aussi permissive en termes de contrôles effectués par des forces de l’ordre et a fortiori par des personnes ne disposant pas de l’autorité de la force publique.
C’est pourquoi nous vous demandons de ne pas adopter cette proposition de loi et, à tout le moins, de mieux encadrer tout contrôle, palpation et fouille. A cet égard, nous vous rappelons l’existence de la proposition de loi « visant à mettre fin à la pratique des contrôles au faciès par la modification de l’article 78-2 du code de procédure pénale » que nous vous invitons à adopter au plus vite afin d’augmenter la sécurité de tous.
Restant à votre disposition, nous vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs les députés, notre considération distinguée,
Paris, le 16 décembre 2015
Liste des organisations signataires :
- GISTI – Groupe Information et de soutien des immigrés
- Ligue des droits de l’Homme
- Eclore
- Maison Communautaire pour un Développement solidaire (MCDS – Paris 11e)
- Open Society Justice Initative
- Pazapas – Belleville
- Syndicat des Avocats de France (SAF)
- Syndicat de la Magistrature