Sortie le 13 janvier 2016
En janvier 2011, en Egypte, les manifestations antigouvernementales rassemblent des dizaines de milliers de personnes dans les rues du Caire, tandis que les villageois des campagnes du Sud suivent les événements de la Place Tahrir via leurs écrans de télévision et les journaux. Du renversement de Moubarak à l’élection et la chute de Mohamed Morsi, le film suit ces bouleversements politiques du point de vue de Farraj, un paysan de la vallée de Louxor. Au fil du quotidien agricole, entre espoirs et déceptions, le changement se fait attendre.
« J’ignore l’impossible, je ne préfère rien à l’éternité, mon pays est ouvert comme le ciel, il embrasse l’ami et efface l’intrus. »– Je suis le peuple, chanson d’Oum Kalthoum.
Certes beaucoup d’eau a coulé depuis la « révolution » égyptienne et la situation présente du pays est si catastrophique que l’on a peine à retrouver l’enthousiasme des années 2011-2012. Pourtant, ce documentaire, primé dans de nombreux festivals pour ses qualités cinématographiques et humaines, vaut que l’on s’y arrête. En effet, son intérêt et son originalité (au sens positif du terme) provient de ce que nous suivons les événements de loin tels qu’ils sont vécus par des paysans d’un village non loin de Louxor, à 700 km au sud du Caire, ce qui nous offre assurément une autre manière de parler d’un événement d’une telle ampleur.
A l’origine, Anna Roussillon qui parle parfaitement l’arabe et connaît bien l’Egypte, s’est liée d’amitié avec Farraj et sa nombreuse famille. Tous sont filmés en complicité, Farraj se montrant très en confiance avec la cinéaste. Le film se présente comme une chronique de la vie quotidienne dans ce village, sur une période particulière : de l’été 2011, quand l’élection présidentielle va être organisée, qui verra la victoire de l’islamiste Morsi, jusqu’à l’été 2013 et le coup d’Etat accompli par l’armée, plaçant le maréchal al-Sissi à la tête du pays. Nous suivons Farraj dans ses activités quotidiennes de paysan et meunier, nous pénétrons dans sa maison où vit une nombreuse progéniture scotchée à la télévision qui retransmet les images des grandes manifestations de la place Tahrir et nous assistons à ses échanges avec ses voisins, ses amis. C’est une sensation forte que cette et ces rencontres permises par la cinéaste avec ce petit peuple de villageois pauvres mais pas misérables, qui pensent la politique et l’Histoire de leur pays avec intelligence, sensibilité, esprit critique, sans illusions. Au-delà d’un regard décalé sur la révolution, ce que nous propose ainsi la cinéaste, c’est une magnifique plongée dans la vie de ces paysans égyptiens qui n’a guère changé de régime en régime et qui en ont conçu une manière bien à eux d’analyser les événements qu’ils subissent bien plus qu’ils n’y prennent part.Anna Roussillon partage avec eux l’enthousiasme de ce vent de liberté, les espoirs de changement et les doutes…Ce qu’elle capte est donc d’une formidable richesse et contribue à élargir nos représentations de la révolution, stéréotypées par les médias. Le film est une chambre d’écho de la manière dont la grande majorité « silencieuse », en tout cas non manifestante, a vécu cette période, à travers un paysan parmi d’autres, parlant à la première personne du singulier, mais dont la voix résonne avec celle du peuple. « Mis en scène à hauteur d’hommes, le film se construit comme un huis clos à ciel ouvert, dans un village entouré de champs, isolé du tourment qui agite le Caire. Farraj et les siens y expérimentent la démocratie. À leurs côtés, avec lucidité, humour et générosité, la cinéaste nous offre une belle leçon de politique et d’humanité. » (Régis Sauder et Marianne Tardieu, cinéastes membres de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion – Acid)
Je suis le peuple
Documentaire, France-Egypte, 2015
Durée : 1h51
Réalisation : Anna Roussillon
Production : Hautlesmains Productions
Distribution : Docks66
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