GT prisons
Proposition de Méthodologie pour une action publique LDH
contre la surpopulation carcérale
A/ Objectifs :
Le groupe de travail « Prisons » pense de plus en plus important d’occuper le terrain et de multiplier les confrontations publiques autour de la Prison. Pour cela, nous venons ici proposer une action collective, concertée et synchrone, à l’échelon national, avec un thème de lancement, qui pourra s’ouvrir au gré des projets propres des sections.
Nous sommes préoccupés de :
• mobiliser les citoyens dans leur prise de conscience des manquements aux droits de l’Homme dans le système pénitentiaire,
• travailler à construire du débat, du mouvement, de la circulation d’informations, d’avancer dans les idées nouvelles, de penser les questions philosophiques, idéologiques, sociales et éthiques que les peines de prison et la Prison en tant qu’Institution soulèvent,
B/ Précautions :
Comment aller au delà de la dénonciation, faire des analyses, prendre en compte les contradictions, dépasser les stéréotypes et les expertises officielles, travailler les questions de droit, se défaire des pulsions, s’éloigner des anecdotes de l’actualité spectaculaire, etc ?
Il ne suffit pas d’organiser des conférences majestueuses, le discours et le débat ne produisent pas les mêmes effets militants.
Il y a une réelle difficulté à ce que les personnes dépassent l’échange d’opinions, à ce que tout le monde ose prendre la parole, à ce que le savoir ne soit pas d’un côté et les interrogations de l’autre, à ce qu’une assemblée contradictoire et déjà instruite réelle soit convoquée, sans uniformité ni évidences ni places sociales ni ligne officielle ni pensée convenue ni représentations…
C’est difficile parce que c’est tout le contraire de ce que les émissions de télévision, incantatoires, nous montrent, maniant les chiffres, les sondages, les experts, les références, les « opinions publiques », les positionnements partisans, les attaques personnelles…
Les difficultés à débattre tiennent à toutes ces représentations et places sociales, aux positionnements des interlocuteurs et des idées, mais aussi à la question des outils de la pensée (dont la parole n’est pas le meilleur allié), de l’outil parole (qui n’est pas accessible à tous, surtout dans un contexte public) et des conflits incessants qui s’entre croisent entre les réalités de terrain, connues ou inconnues, les idéologies qui s’expriment ou se dissimulent, les objectifs réels ou les objectifs espérés, les références culturelles ou historiques ou techniques communiquées ou occultées…
C/ Première thématique d’approche
Nous souhaitons partir de la question de la surpopulation pénale comme thème collectif pour l’ensemble des sections qui se trouvent à proximité géographique de maisons d’arrêt surpeuplées (voir tableau ci-joint).
Il y a déjà eu des prises de position par le passé sur le numerus clausus (une place – un détenu), à travers entre autre la dynamique du mouvement « Trop c’est trop ».
Aujourd’hui c’est le vote de la loi pénitentiaire qui soulève l’inhumain et scandaleux renoncement politique de l’encellulement individuel, en dépit des recommandations de l’Union Européenne !
D/ Déclinaison d’un dispositif d’action d’une section (proposition)
En amont, la section connaît les chiffres de la surpopulation carcérale des maisons d’Arrêt de son département (cf. tableau joint).
• Pour ne pas être isolés, trop peu nombreux, et pour apporter des appuis transversaux :
– faire appel via les réseaux associatifs locaux à des collaborations dans la mise en œuvre du dispositif.
– faire un appel dans la presse locale pour des collaborations dans la mise en œuvre du dispositif.
(Exemple de communiqué de presse : La LDH section xxx (et autres associations) engage une réflexion sur la Maison d’Arrêt de xxx. Elle lance un appel à collaboration pour l’organisation de réunions de travail préparatoires à un grand débat public dans notre ville. Merci de contacter ….)
A un communiqué de Presse « fonctionnel » peut être liée un article sur la Prison locale et/ou l’interview du Président de la section ou d’un membre plus particulièrement investi sur la question, l’objectif restant de donner envie de venir réfléchir sur la Prison, non de se livrer à une dénonciation « agressive » et en définitive superficielle de la situation locale, sans lendemain militant.
• Visite de l’établissement local par une délégation légère, afin de :
– rencontrer la direction pour connaître son point de vue sur les difficultés qu’elle affronte à cause de la surpopulation (détailler),
– rencontrer des personnels et intervenants (médecins, professeurs, aumôniers, formateurs, concessionnaires, conseillers d’insertion, secrétaires…) pour connaître leur point de vue sur les difficultés qu’elle affronte à cause de la surpopulation (détailler),
• Rencontre avec le Juge d’Application des Peines sur le même sujet.
• Organisation de séances d’animation dans des classes du secondaire, sur divers thèmes : thèmes concrets touchant à leur connaissance des établissements proches (où, quoi, qui, combien, pour quoi faire… ?), thèmes plus généraux sur le sens de la peine (quelles sanctions, quelles réinsertions, quelles conditions, quel avenir… ?).
• Organisation de séances d’animation identiques dans d’autres lieux de la vie publique : centre de personnes âgées, foyers de jeunes travailleurs, associations diverses, comités d’entreprise, autres ONG, syndicats , sans oublier tous les contacts possibles avec les personnels de justice et de police…
Toute cette préparation peut être suivie par la presse locale, se faire en synergie avec d’autres associations (Genepi, Anvp, Oip, Saf, Sm, Fnars, Arapej, Act Up…), et faire l’objet de la tenue d’un journal, diffusé sur Internet à tous les participants ainsi que sur papier…
L’idée est de « faire mouvement » et qu’un nombre croissant de personnes s’exercent à réfléchir sur leur prison, sur les conditions de détention, les conditions de visite des familles concernées, les conditions de travail des personnels…, sur les questions que l’existence de cette institution soulève.
• Quelque mois après le début du dispositif, une étape est atteinte pour organiser un débat public à la Mairie (de préférence – lieu de la citoyenneté et des arbitrages collectifs)
– Débattre de quoi ?
Chaque section choisira le sujet sur lequel elle voudra ensuite travailler, après que la situation de la surpopulation aura été analysée. Car l’idée est de construire à partir de cette action un réseau de travail pérenne, une régularité de rencontres publiques, sur des thèmes choisis ensemble * – nous encourageons de partir de situations assez concrètes et durables, mais d’éviter de partir d’un fait divers ou d’un événement ponctuel, local ou national.
* Par exemple, Troyes veut développer la question des droits de l’homme, Bourges la question de l’incarcération des mineurs, Nîmes ou Le Mans poursuivant sur la surpopulation carcérale…
– Débattre comment ?
Il est important de ne pas considérer la séance comme une séance d’information, avec une tribune axiale garnie de professionnels et d’experts et un auditoire, réduit à l’état de public (au sens spectaculaire du terme), posant au bout d’une heure, 8 questions ! Pour cela, il faut une salle qu’il est possible d’aménager de façon circulaire et collective, sans axe ni centre (comme toute salle des mariages ou des fêtes).
– Débattre entre qui ?
Il est important de gagner la présence de personnes précises, avec des interventions préparées. Par exemple (nous ne faisons pas là un échantillonnage) le directeur de la prison locale, le JAP, un CIP, un commissaire, un surveillant, des avocats, des familles, des lycéens, des citoyens, des militants associatifs… en fait, tous ceux qui ont travaillé pendant les mois précédents et attendent de prolonger leurs échanges précédents.
Ainsi donc, il n’y a pas d’orateurs privilégiés, c’est une tribune publique sur un état de la société, organisée et entretenue par des personnes qui ont réfléchi en amont aux questions soulevées.
– Débattre pour parvenir à quoi ?
La question de la surpopulation pénale est une entrée évidente, objective et positive, pour prendre conscience de ce qu’est l’enfermement : elle le pousse à son paroxysme. Elle accuse aussi la loi pénitentiaire, qui a fait fi de cette grave situation française, la dédaignant avec arrogance. Cette préoccupation est urgente, d’une part pare qu’elle est inadmissible, d’autre part parce qu’elle est discriminatoire (tous les établissements ne sont pas touchés de la même façon). Elle a des conséquences néfastes et nombreuses, sur :
* la nature même de la détention : partager 9m2 en deux, pour y déposer ses affaires, s’y concentrer, vivre, lire, écouter de la musique ou regarder la télévision, c’est proprement infernal et source de constants problèmes techniques, matériels, psychologiques, structurellement et naturellement liés à la promiscuité. Cela soulève aussi des problèmes potentiels d’hygiène,
* l’accès et la qualité des soins : le personnel médical est le même pour une effectif considérablement augmenté (durée des soins, attentes pour se faire soigner…)
* l’accès et la qualité des formations : les ateliers ou salles de formation, les présences de formateurs ne sont pas extensibles,
* l’accès et la qualité des parloirs : les horaires de parloirs et les locaux ne sont pas extensibles, cela se traduit par une diminution notable des temps de parloirs et des attentes accrues,
* l’accès et la qualité de la nourriture : toute l’infrastructure, des commandes, aux lieux de stockage, du réchauffement à la distribution, du matériel au budgets, doit être repensé, sans moyens supplémentaires, en particulier au niveau des locaux et des personnels,
* l’accès et la qualité du suivi scolaire et étudiant : le salles de cours et les heures de professeurs ne sont pas extensibles,
* l’accès et la qualité des emplois : le nombre d’offres d’emploi est limité, par ailleurs, les travaux en cellule ne sont plus possible lorsqu’une cellule pour une personne est occupée par deux, flanquée d’un matelas par terre,
* les conditions de sécurité : comment garantir dans ces conditions que deux personnes entassés dans un espace clos, dense et étroit ne seront pas soumis à des pressions de l’un sur l’autre – rapport aux cantines, à la cigarette, à la lumière le soir, à la musique…,
* l’exercice du droit de vote : la complication des tâches d’accompagnement pour les CIP, le greffe, les associations extérieures, la gestion des papiers,
* l’accès au Spip et l’aide des Cip : déjà en sous nombre dans tous les établissements, ils deviennent débordés et impuissants à prendre en charge les suivis dont ils ont la responsabilité,
* la garantie de l’intimité : toilettes, vie sexuelle, courriers, affaires personnelles…
Cette liste n’est pas exhaustive, il faudrait parler de la violence induite par le surnombre, face à une offre de service non adaptée, de la violence induite par la difficulté des personnels d’encadrement impuissants à entretenir avec les personnes détenues des relations personnalisées et de soutien, de la violence induite par le stress de personnes livrées à elles-mêmes, sans qu’une régulation des pressions, des tensions, des rapports de force puisse être conduite de façon fiable, de la violence de la promiscuité entre prévenus et condamnés, dans une proportion non raisonnable, de la violence liée à l’anonymat et l’oubli dans lesquels certains détenus fragiles et discrets sont plongés, au milieu d’une telle densité, toujours inquiète, sur la brèche, en situation de survie, et pas toujours solidaires…
Il ne faut pas oublier que lorsqu’un établissement, possédant par exemple un parc de 100 cellules prévues pour une personne, en accueille 160, ce n’est pas les 60 détenus qui dorment sur un matelas par terre qui subissent la surpopulation pénale, mais les 160 dans leur totalité !
Le collectif « Trop, c’est trop » est resté mobilisé plusieurs années sur ce combat du refus de la surpopulation carcérale, en défendant notamment le numerus clausus : une place – un détenu. Il n’est pas inutile de conserver le contact avec ce mouvement.
E/ Le groupe de travail « Prisons »
Les membres du groupe sont à la disposition des ligueurs et sections qui le souhaitent pour aider à la mise en œuvre de telles actions de fond, pour ceux qui décident de s’y engager.
Il sera important de bien faire remonter les expériences tentées par les uns, au profit des autres.
Pour cela, merci de bien communiquer régulièrement sur la liste de discussion du groupe.
Nous joignons à ce courrier le tableau des effectifs de personnes incarcérées par établissement, daté d’octobre 2009. Ces informations, non publiées (mais dont nous considérons qu’elles n’ont pas à être confidentielles), ont l’intérêt d’être « fraiches ».
Nous pensons donc qu’il est urgent de déclencher une action collective dans plusieurs départements en France, avec toutes les sections qui le souhaitent, de façon coordonnée et collective. Ces chiffres vont peu à peu devenir obsolètes, servons nous-en aujourd’hui.
Vos remarques et propositions sont les bienvenues.
Pour le groupe de travail « Prisons »
Nicolas Frize, Catherine Evrard, Stéphanie Calvo
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