Témoignage de Jean-Pierre Dubois pour le procès en appel de Sakina ArnaudJe, soussigné Jean-Pierre Dubois, Président de la Ligue des droits de l’Homme, ne pouvant être présent à l’audience tenue à Bordeaux le 24 septembre dans le procès intenté à Madame Sakina Arnaud, souhaite faire connaître au Tribunal par la présente l’opinion qui est à la fois la mienne à titre personnel et celle de la Ligue des droits de l’Homme sur ces poursuites.
Il se trouve qu’en ce qui concerne la campagne « Boycott, désinvestissement, sanctions » lancée par un certain nombre d’associations, la position prise par la Ligue des droits de l’Homme diffère entièrement de celle qu’a retenu Sakina Arnaud en tant que citoyenne libre de ses opinions : la LDH est clairement hostile au boycott des produits israéliens. Ainsi, alors même que Madame Arnaud est membre de la LDH, ce qui ne lui retire évidemment rien de sa liberté de jugement et d’action en l’espèce, mon témoignage ne vise nullement à soutenir sur le fond l’initiative qu’elle a prise, ce qui par ailleurs ne m’empêche nullement de respecter son point de vue que je ne partage pas.
Je n’en suis que plus à l’aise pour m’élever avec force contre la qualification des accusations qui ont été portées contre elle. Qualifier d’expression antisémite ou même « seulement » de provocation à la discrimination raciale le fait d’avoir apposé deux autocollants sur des produits israéliens offerts à la vente dans un hypermarché est en effet d’abord insoutenable au regard de la logique la plus élémentaire et d’ailleurs aussi des principes mêmes dont se réclame le ministère public : faudrait-il donc comprendre qu’« israélien » signifie « juif », que la nation israélienne serait, en bloc, assimilée à une « race », et que partant toute demande de boycott contre les produits israéliens équivaudrait à un boycott antisémite ? Cet effroyable amalgame, qui hélas a entaché jusqu’aux propos publics tenus à l’occasion du dîner du CRIF par la Garde des Sceaux elle-même ; témoigne malheureusement du degré de confusion qui règne dans bien des esprits dès qu’il s’agit du conflit israélo-palestinien. Je ne ferai pas au tribunal l’injure de souligner à quel point rien n’est plus susceptible d’encourager l’ethnicisation du débat et en particulier la libération d’une parole antisémite, que l’on prétend pourtant sanctionner ici.
Mais ces poursuites ne sont pas seulement dramatiquement illogiques : elles sont insultantes voire infamantes. Sakina Arnaud est une citoyenne et adhérente de la Ligue des droits de l’Homme dont rien, dans ce qu’elle a fait ou dit à ce double titre, ne permet de la taxer, de près ou de loin, et fût-ce implicitement, d’antisémitisme. Cette qualification, qui lui fait horreur autant qu’à moi-même, est d’autant plus insoutenable que nous vivons un temps où les provocations à la discrimination en raison des origines ne manquent pas, et ne sont hélas pas le seul fait de personnes privées. Je considère dans ces conditions que la qualification retenue à son encontre est une injure faite non seulement à sa personne mais aussi à l’ensemble des adhérents de la LDH, dont je puis attester qu’ils sont, comme je le suis moi-même, pleinement aux côtés de Sakina Arnaud pour réfuter cette accusation et défendre sa liberté constitutionnelle d’expression, laquelle inclut à l’évidence la critique de la politique menée par un Etat étranger quel qu’il soit.
Dans ces conditions, je ne puis qu’exprimer la confiance que je place dans le respect du droit et des principes les plus fondamentaux de la République et ma conviction subséquente que les poursuites intentées à l’encontre de Sakina Arnaud ne sauraient prospérer.
Fait à Paris, le 22 septembre 2010.