CONCLUSION DU RAPPORT DE MISSION SUR L’ÉTAT CIVIL EN GUYANE
Par le groupe de travail « Outre-mer »
En conclusion, l’étude menée sur la carence institutionnelle de l’établissement de l’état civil dans l’Ouest guyanais a permis de mettre en exergue qu’une amélioration patente du système déclaratif de naissance, que ce soit l’enregistrement des déclarations de naissance ou la procédure de déclaration judiciaire, peut être observée grâce à la prise de conscience, encore timide, par les pouvoirs publics de l’enjeu d’ordre public que représente l’état civil.
Il n’en demeure pas moins que les efforts tendant à la résorption de l’absence d’état civil doivent se poursuivre, voire s’intensifier, notamment dans le sens d’une réduction majeure des erreurs matérielles viciant l’acte de naissance des populations, ainsi que d’une épuration des requêtes de jugement déclaratif de naissance en cours. De surcroît, afin de mettre un point d’arrêt à l’absence d’état civil, il apparaît nécessaire de recenser les populations, plus particulièrement celles résidant dans les sites isolés, aux fins de relèvement d’une éventuelle carence d’état civil permettant ainsi d’y remédier dans les meilleurs délais.
Pour autant, si l’engagement de parvenir à de tels objectifs était pris, ces mesures se révéleraient insuffisantes pour satisfaire l’exigence de l’établissement d’un acte d’état civil à l’égard de l’ensemble de la population guyanaise, et ce au regard notamment du contexte géographique de l’Ouest guyanais, sans compter le climat de suspicion généralisée.
En effet, comme développé précédemment, l’un des facteurs de la carence de l’état civil résulte de l’isolement des populations, majoritairement autochtones, lié à l’enclavement du territoire et au défaut d’infrastructures administratives qui pourraient y être implantées. A cet égard, les représentants de l’État relèvent que l’atteinte à l’exercice effectif des droits individuels par la population de ces sites isolés provient du déficit, voire de l’absence, de services publics sur cette portion du territoire. Le premier adjoint de la mairie d’Apatou fait le constat d’une « absence de l’Etat sur le fleuve ». Le sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni propose quant à lui, « eu égard à l’iniquité constatée entre les ressortissants français, un désenclavement permettant le rapprochement des structures administratives pour le sud de l’Ouest guyanais ».
Ainsi, un meilleur maillage territorial des services publics paraît nécessaire à l’effectivité de l’attribution d’un acte d’état civil, et subséquemment des droits, dans l’Ouest guyanais. En revanche, là encore, cette mesure, bien qu’essentielle, ne sera pas suffisante pour un accès plein et entier à l’état civil.
En effet, dans le cadre de la mission d’observation sur le terrain, une constante a été observée dans le rapport qui lie les justiciables et l’administration, celle du contrôle systématique des actes d’état civil et plus généralement de toutes les allégations en support à l’exercice des droits.
Si l’état civil constitue l’origine de l’existence juridique des individus, et conditionne ainsi leur vie juridique, il représente en outre un instrument de contrôle étatique ; conception prévalente en Guyane. Deux conceptions définissent l’état civil : une conception matérielle visant l’acte en lui-même, créateur de l’identité juridique, et une conception instrumentale qui permet par son biais de contrôler l’état des personnes, en ce que celui-ci puisse être générateur de droits.
Etant entendu qu’il revient à l’Etat, au regard de son pouvoir régalien, de se prémunir des risques de fraudes administratives par la mise en œuvre de procédures de contrôle relatives à la véracité des éléments allégués en matière d’état civil, il n’en demeure pas moins que celles-ci ne doivent pas être attentatoires au droit fondamental de l’accès à un état civil au point d’emporter sa non-effectivité.
Force est de constater que, au regard d’une volonté affirmée de lutter contre l’immigration illégale, une suspicion générale et tenace a cours dans l’Ouest guyanais, et plus généralement en Guyane, de laquelle résulte une instrumentalisation de l’état civil.
Tout d’abord, la lenteur manifestement excessive des procédures tenant à l’établissement d’un acte d’état civil ou d’un jugement qui en tient lieu découle d’instruction de règles strictes et dissuasives permettant d’épurer la fraude administrative par, notamment, l’abandon des démarches à cet effet des populations au préjudice de leurs droits. La fiabilité des contrôles relatifs aux informations transmises dans le cadre de l’établissement de l’état civil se trouve en outre altérée, voir viciée, par cet a priori de fraude omniprésente et parfois même par un racisme latent. Le contrôle ainsi opéré vide de sa substance le droit à un état civil des individus auquel bien souvent ils peuvent légitimement prétendre.
Par ailleurs, nous avons pu constater que la vérification de l’état des personnes, matérialisé par l’acte d’état civil, repose essentiellement sur la confusion entretenue entre l’attribution d’un acte d’état civil et celle de la nationalité française. Les motivations de la complexification de l’établissement de l’état civil, que ce soit par le système déclaratif des naissances ou par la procédure judiciaire, relèvent de la résolution des représentants de l’État à ce que les individus présents sur le territoire ne profitent pas, à l’aide de moyens frauduleux, de droits et avantages prévus par la législation nationale. Ainsi, il est constaté que préexiste au sein des institutions de l’État un postulat selon lequel les populations de l’Ouest guyanais sont constituées en premier lieu de fraudeurs.
Cette constante est par ailleurs observée dans l’ensemble de la chaîne institutionnelle. En effet, lors de notre entretien avec la déléguée du Défenseur des droits, assurant des permanences au sein de la maison de justice et du droit de Saint-Laurent-du-Maroni, dont la mission est celle de contribuer à l’égalité de traitement et au respect des droits et libertés individuels, il est apparu que l’ensemble des demandes de jugements déclaratifs de naissance qui lui sont soumises est suspecté de fraude à l’état civil. A cet égard, elle « met à l’épreuve » les usagers qu’elle rencontre aux fins de vérifications de leurs allégations relatives à leur lieu de naissance. Selon la déléguée du Défenseur des droits, de nombreuses déclarations de naissance auraient été « injustement établies », puisque « les personnes ne connaissent pas les gens d’ici ».
De manière générale, il est impératif qu’en Guyane les règles régissant l’établissement de l’état civil puissent trouver un point d’équilibre entre les droits individuels des personnes et la nécessité pour l’Etat de contrôler l’état des personnes permettant l’acquisition de droits. La logique étatique ne doit pas se résumer à la preuve de l’état des personnes sous l’unique prisme des conséquences en matière de nationalité ou de séjour, mais de préférence se recentrer sur le fait que les actes d’état civil participent au respect des droits fondamentaux.