Suite à l’arrêt A.M. c/ France rendu le 12 juillet dernier par la CEDH condamnant la France en raison de l’insuffisance du contrôle de la rétention opéré par le juge administratif, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (oEE) s’est adressé au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, dans une lettre ouverte.
Paris, le 25 juillet 2016
Monsieur le ministre,
Par un arrêt A.M. c/ France (Requête n° 56324/13) rendu ce 12 juillet, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que le recours devant le juge administratif ouvert par la législation française aux étrangers placés en rétention dans le cadre des procédures d’éloignement ne constitue pas un recours effectif au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. La Cour a ainsi considéré que le requérant avait subi une violation du droit, consacré par cet article, de faire statuer à bref délai sur sa détention. Pour ce faire, la Cour a constaté l’insuffisance du contrôle de la rétention opéré par le juge administratif en ce qu’il ne se reconnaît pas compétent pour contrôler la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à celle-ci, notamment les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’interpellation de la personne étrangère[1].
Vous savez également qu’aux termes de la législation actuellement en vigueur le contrôle de « la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à celle-ci » appartient au juge des libertés et de la détention (JLD), lequel n’intervient qu’à l’issue d’un délai de cinq jours à compter du placement en rétention et sur la saisine de l’autorité administrative. Ce sont donc les dispositions de la loi du 16 juin 2011 repoussant ce contrôle, auparavant exercé dans les quarante-huit heures, à cinq jours – et l’inversion de l’ordre des contrôles du juge judiciaire et du juge administratif qui en est résulté – qui sont en l’espèce condamnés par la Cour européenne des droits de l’Homme[i].
Il aura fallu près de quatre années pour que votre gouvernement et les parlementaires preniez finalement le parti de faire corriger, dans la loi du 7 mars 2016, ces dispositions dénoncées dès l’origine et avec force par nos organisations. Tirant par avance les leçons de cette décision de la CEDH, le législateur a en effet rétabli le délai de 48 heures pour la saisine du JLD et unifié le contentieux de la rétention entre ses mains. Il a toutefois retardé l’entrée en vigueur de ces dispositions au 1er novembre prochain, de sorte que les trop nombreuses personnes qui seront placées et maintenues en rétention jusqu’à cette date ne bénéficieront toujours pas d’un recours effectif et seront retenues au mépris des prescriptions de la Convention européenne, le contrôle opéré par le juge administratif restant insuffisant et celui opéré par le juge judiciaire, lorsqu’il est saisi, restant tardif. Vous avez toutefois le moyen de prendre immédiatement en compte cette décision de la Cour européenne des droits de l’Homme qui s’impose afin que partout en France soit respecté le droit fondamental à un recours effectif. Il vous suffit de donner instruction aux préfets, lorsqu’ils envisagent de prolonger une mesure de rétention, de saisir les JLD dans un délai de 48 heures – et non plus de cinq jours – pour tenir compte de la décision de la Cour de Strasbourg et cela, dès maintenant, sans attendre la date du 1er novembre.
Les organisations membres de l’OEE vous demandent en conséquence de prendre sans délai les dispositions propres à éviter que des mesures d’enfermement répétées soient prises en violation de ces engagements.
Pour l’Observatoire de l’enfermement des étrangers,
Patrick Henriot
Secrétaire national du Syndicat de la magistrature
12-14 rue Charles Fourier
75013 Paris
Organisations membres de l’OEE : Association Nationale d’Assistance aux Frontières pour les Étrangers (Anafé) ; Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) ; Avocats pour la Défense des Droits des Étrangers (ADDE) ; Comité pour la santé des exilés (Comede) ; Droits d’Urgence ; Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s (FASTI) ; Groupe d’Information et de Soutien des Immigré.e.s (GISTI) ; Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (Genepi) ; La Cimade ; Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) ; Observatoire du CRA de Palaiseau ; Revue Pratiques ; Syndicat de la Magistrature (SM) ; Syndicat de la Médecine Générale (SMG) ;Syndicat des Avocats de France (SAF).
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[1] 42. En l’espèce, la privation de liberté du requérant a débuté au moment où ce dernier a été interpellé par les forces de l’ordre et s’est poursuivie par son placement en rétention pour s’achever lorsqu’il a été renvoyé. La Cour observe cependant que le juge administratif saisi, comme en l’espèce, d’un recours contre un arrêté de placement en rétention, n’a le pouvoir que de vérifier la compétence de l’auteur de cette décision ainsi que la motivation de celle-ci, et de s’assurer de la nécessité du placement en rétention. Il n’a, en revanche, pas compétence pour contrôler la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à celle-ci (voir la partie « Droit interne pertinent »).
Notamment, il ne peut contrôler les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’interpellation de l’étranger. Ce faisant, il n’est pas en mesure de contrôler que les modalités de l’interpellation ayant conduit à la rétention sont conformes au droit interne ainsi qu’au but de l’article 5 qui est de protéger l’individu contre l’arbitraire (voir Čonka, précité). La Cour estime en conséquence qu’un tel contrôle est trop limité au regard des exigences de l’article 5 § 4 dans le cadre d’une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f).43. Eu égard à ce qui précède, elle considère que le requérant n’a pas bénéficié d’un recours au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.