Par Danuta Stolecka, chargée de mission à la Société des Journalistes (Pologne)
Cet article publié en coopération avec Solidarité France Pologne
Depuis 2015, la Pologne traverse une crise d’envergure suite à l’arrivée au pouvoir du parti conservateur, PiS. Aucun secteur de la vie sociale et politique n’est épargné : le Tribunal constitutionnel, la surveillance, la procurature et les tribunaux, le droit de disposer de son corps, les médias et la culture, l’armée et l’environnement… La liste est longue et nous présentons ici la situation des médias et du secteur de la culture.
Changements continus de programmes et de cadres dans les médias publics
Au cœur de la polémique autour de la liberté de la presse : la « petite loi sur les médias », votée le 30 décembre 2015, qui vise à museler l’audiovisuel public. Les changements intervenus touchent les cadres de la télévision et de la radio publique. Ils sont congédiés au profit de personnalités plus proches du PiS (Droit et Justice), certains même sans grande expérience, comme Samuel Rodrigo Pereira, né en 1988 et aujourd’hui vice-chef de publicité chez TVP ou de journalistes moins compétents dont le seul mérite est de travailler dans les médias les plus à droite comme la chaîne Republika ou Trwam (Je perdure). Malgré de vives protestations, entre autres de la part de la Société des Journalistes (Towarzystwo Dziennikarskie), la vague de licenciements a fait des ravages. Au total, 216 journalistes limogés. Les journalistes licenciés ont trouvé des réponses pour pallier cet acharnement, en créant des médias indépendants (journaux et radios), mais cela n’est pas suffisant face au raz-de-marée conservateur, qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Tous ces changements interviennent au détriment de la qualité professionnelle des programmes et des taux d’écoute qui sont en chute libre depuis plusieurs mois.
La plupart des programmes télévisés qui ne répondaient pas aux exigences du PiS ont été supprimés et remplacés par d’anciennes émissions diffusées à l’époque du régime communiste telles que « Pegaz », « Teleranek » ou « Sonda2 ». Cependant, cette tentative de modification des grilles n’emporte pas l’adhésion des téléspectateurs et les audiences demeurent au plus bas. Pour remédier à cela, on assiste à une nouvelle rotation des cadres de l’audiovisuel public.
La chaîne TVP a décidé de ne plus accorder son patronage à des émissions très grand public. À titre d’exemple, le célèbre concert organisé chaque année par Le Grand Orchestre de charité de Noël (Wielka Orkiestra Swiatecznej Pomocy) n’a pas été retransmis sur TVP, pour la première fois en 25 ans d’existence. De même que le festival de film et d’art « Dwa brzegi » (Les deux rives) ou encore le prix littéraire Nike (équivalent du prix Goncourt). Cependant, d’autres programmes sont prévus, tels qu’une conférence sur les pogroms antisémites de Kielce ou encore sur l’histoire de la Pologne d’après-guerre. Toutes ces rencontres sont organisées sous la houlette de TVP (dirigée par Jacek Kurski) et les invités sont choisis scrupuleusement, en fonction de leurs convictions. On assiste alors de fait à des tentatives de réécriture de l’histoire.
Télévision publique contre télévision privée
D’après une étude du Conseil national de la radiophonie et de la télévision, les programmes Les Nouvelles sur la chaîne publique TVP et Les Faits sur la chaîne privée TVN réunissent à eux deux chaque jour 3,5 millions de téléspectateurs. On apprend aussi que les téléspectateurs sont plus enclins à accorder leur confiance aux informations sur les médias privés à 41 % contre 38 % pour les médias publics. Ce qui signifie tout de même que les informations partiales que l’on entend dans les programmes publics ont une portée considérable, et que cela met sérieusement en danger l’avenir de la démocratie en Pologne. Le professeur Maciej Mrozowski, expert en médias, explique dans une interview : « Au cours d’une de nos enquêtes menées du 4 au 11 juillet [2016], les journalistes de TVP1 n’ont pas employé une seule fois de termes négatifs à l’encontre du PiS, par contre, envers l’opposition, ils en ont usé et abusé ».
Jaroslaw Kaczynski, président du PiS, a affirmé dans une interview accordée à l’hebdomadaire de droite Do Rzeczy, qu’en Pologne, en utilisant la télévision l’on peut donner l’image que l’on souhaite de la réalité, car la société n’analyse pas ce qu’elle voit, mais reçoit la vision proposée comme la vérité. Il affirme aussi que les médias publics ont pour vocation de faire la « couverture médiatique » du pouvoir en place et sont « leur canal de transmission aux Polonais ». L’on trouve bien là la raison pour laquelle le PiS ne veut pas seulement limiter l’influence des médias privés et les fragiliser, mais qu’il entend bien les soumettre voire les liquider.
Des programmes de plus en plus tendancieux
Le manque d’objectivité et de respect élémentaire des règles du métier, la promotion systématique d’une vision sectaire de la situation contribuent à renforcer le climat de guerre idéologique entre les médias publics et privés. Tout mouvement de protestation est systématiquement présenté comme une tentative de déstabilisation de l’État dans une rhétorique haineuse, typique de l’époque de la Pologne populaire. La télévision publique est donc devenue clairement un organe au service du parti au pouvoir.
Un exemple illustre le caractère mensonger de l’information à des fins de manipulation et de propagande. Les organisations non-gouvernementales ont été la cible d’attaques continues des médias publics. Durant plusieurs semaines, certaines ONG ont été citées, laissant entendre qu’elles entretenaient des liens suspects et privilégiés avec des membres de l’équipe politique précédente, qu’elles touchaient des fonds importants dont la source demeurait inexpliquée, et qu’elles les utilisaient à des fins discutables sans avoir à en rendre compte de manière suffisamment claire et transparente. C’est ainsi que la réputation et tout le travail mené par le secteur associatif ont été mis en cause en Pologne dans la seule intention de leur nuire.
Forte opposition aux attaques des droits des journalistes
En décembre 2016, le Maréchal de la Diète a annoncé qu’il allait mettre de l’ordre dans l’organisation des contacts entre les journalistes et les députés et sénateurs. Les changements, décidés sans aucune consultation avec le milieu journalistique visaient à introduire de grandes restrictions dans les conditions de travail des journalistes parlementaires. Le Centre de presse allait être déplacé et installé en dehors des locaux du Parlement, un nombre limité d’accréditations allait être dorénavant accordé aux journalistes. Et ceux qui recevraient le droit de travailler à l’intérieur de la Diète, n’auraient pas le droit de faire des interviews ou de filmer. Les journalistes ont manifesté à l’intérieur et à l’extérieur de la Diète au motif de la non constitutionnalité de ces mesures et que le gouvernement souhaitait limiter leur droit d’accès aux salles de débat ainsi qu’aux informations concernant les activités du Parlement polonais. Le blocage de la Diète a duré trois semaines. Les contestataires se sont réunis sous le hashtag #wolnemedia (médias libres) et le Comité de Défense de la Démocratie (Komitet Obrony Demokracji) [1] a organisé de grandes manifestations. Finalement, le gouvernement a été contraint d’abandonner ce projet de réformes et les journalistes sont toujours autorisés à accéder aux salles de débat du Parlement.
Les médias privés en mal de ressources
L’assèchement du marché des annonces se poursuit pour les médias privés. Ceux considérés comme « de droite » reçoivent plus d’argent de la part des annonceurs, plus de publicité des entreprises d’État également et voient ainsi leurs recettes croître largement même si ces journaux ont un tirage inférieur à celui de Gazeta Wyborcza par exemple (100 000 exemplaires). Quant à ceux affiliés « de gauche », tels Polityka, Tygodnik powszechny, Newsweek Polska et Wprost, ils sont en grande difficulté. Le tirage moyen diminue et certains points de vente rechignent à les placer en tête de gondole. La situation est comparable à la radio et à la télévision.
Dernièrement, le gouvernement prépare une nouvelle loi concernant la concentration du capital sur le marché des médias. Les nouvelles réformes doivent être présentées à la Diète en début de l’année 2017. Le gouvernement affirme que c’est certainement la meilleure manière « d’assurer le pluralisme des médias en Pologne ». Cette proposition de loi a été formulée afin de limiter le pouvoir de la chaîne TVN, privée, populaire mais très critique à l’encontre du gouvernement PiS.
La culture prise pour cible
La liberté d’expression ne souffre pas uniquement dans le secteur des médias. Les institutions culturelles sont également visées par le gouvernement du PiS. En première ligne, les Instituts culturels polonais, relevant du ministère des Affaires étrangères avec pour mission de promouvoir la culture polonaise à l’étranger.
Ces dernières années, les Instituts culturels polonais avaient à faire connaître à travers le monde les œuvres les plus intéressantes et les plus fortes des créateurs polonais contemporains, à faciliter les contacts des artistes polonais avec le monde et à convaincre de l’exceptionnalité et de l’attractivité de la culture polonaise. Bref, ils voulaient prouver que la Pologne avait changé, qu’elle était devenue un pays ouvert, innovant, qui s’intéresse aux autres. Mais la promotion de cet art contemporain, parfois controversé, mais remarqué et reconnu dans le monde, n’a pas plu au gouvernement qui a jugé que les Instituts en faisaient trop pour la promotion des communautés LGBT, et exploitaient à outrance la thématique juive dans l’histoire et la culture polonaise.
Le PiS a donc décidé de procéder à des changements, en nommant de nouveaux directeurs à la tête des Instituts culturels polonais qui vont dorénavant mettre en œuvre des programmes différents, beaucoup moins portés sur la création contemporaine et les échanges, et qui seront moins en mesure d’attirer le public de leur pays de résidence. De ce fait, ils se cantonneront à l’accueil de la polonia (terme désignant la diaspora polonaise) puisqu’ils se concentreront sur la présentation de l’histoire du pays, en particulier dans le cadre de la célébration du 1050e anniversaire du baptême de la Pologne. Le ministre des Affaires étrangères a déclaré « qu’il était préférable de parler de personnages tels que Copernic, Chopin, Jean-Paul II, Maria Sklodowska-Curie », charriant ainsi l’électorat conservateur du PiS à l’étranger. Dernièrement, le ministère des Affaires étrangères a envoyé aux Instituts culturels une liste d’intellectuels à inviter de préférence, liste sur laquelle se trouvent avant tout les noms de personnes sympathisantes ou affiliées à l’actuel parti au pouvoir.
Les Instituts vont inévitablement se transformer peu à peu en centres culturels dédiés à la polonia. De cette manière, le gouvernement en place a grand espoir de pouvoir exercer encore une plus grande influence sur les Polonais de l’étranger.
Les changements de direction interviennent également dans le milieu culturel : au Centre national de la Culture, dans les théâtres et dans d’autres institutions.
Au Théâtre polonais de Wroclaw, depuis la nomination du nouveau directeur, des manifestations de protestation sont organisées par les acteurs eux-mêmes. L’une des meilleures scènes théâtrales de Pologne est en fait en cours de liquidation. En janvier, il n’y a eu aucune représentation, la troupe d’acteurs s’est dispersée.
À Bialystok, le nouveau directeur nommé à la tête du Théâtre dramatique a annulé toutes les représentations de « Biala sila, czarna pamiec » (La force blanche, le souvenir noir). Ce spectacle, récompensé plusieurs fois et invité dans de nombreux festivals, y compris à l’étranger, rend compte de la montée de la violence verbale et physique, du racisme et de la xénophobie et fait ainsi écho à des évènements qui ont eu lieu à Bialystok-même [2].
Cette politique du gouvernement ne touche pas uniquement les projets déjà réalisés mais également ceux qui sont encore à la recherche de financements. Ainsi, la nouvelle direction du Centre national de la Culture, censé soutenir les meilleurs projets culturels de toute la Pologne, attribue les dotations exclusivement aux centres affiliés à droite, entre autres à des organisations et des institutions qui n’existent que depuis quelques mois et qui n’ont aucune expérience.
La situation semble se dégrader de plus en plus et ce, dans tous les domaines de la culture. Pour contrer la vague de réformes gouvernementales, deux solutions se dessinent. La première passe par la mobilisation de la société civile. La seconde par l’interpellation des gouvernements étrangers et de l’Union européenne. Les citoyens polonais ont déjà fait preuve d’initiative en protestant contre les menaces formulées contre leurs libertés démocratiques. Bruxelles, quant à elle, devrait se montrer garante d’une Europe respectueuse des droits et des libertés démocratiques. Ces mêmes libertés pour lesquelles les peuples de l’Europe de l’Est se sont battus il n’y a pas si longtemps et qui est menacé aujourd’hui par une dynamique réactionnaire.
L’une comme l’autre, ces deux hypothèses appellent à redoubler d’engagement face aux nouveaux textes de loi en préparation.
Traduction du polonais par Anne Duruflé et Marjorie Pisani (Association Solidarité France Pologne)
[1] Voir « Contre les dérives autoritaires en Pologne : la création du Comité de défense de la démocratie », Lettre Droits de l’Homme en Europe centrale et orientale, n°16, janvier 2016, URL : http://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2016/01/Lettre-Europe-centrale-et-orientale-n %C2 %B0-16-janvier-2016.pdf ; « Nous voulons créer des espaces de débat démocratique », entretien avec Mateusz Kijowski, président du KOD, Hommes et libertés, n°176, décembre 2016, URL : http://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2017/01/HL176-Monde-4.-Pologne-Nous-voulons-cr %C3 %A9er-des-espaces-de-d %C3 %A9bat-d %C3 %A9mocratique.pdf
[2] Le Tribunal de Bialystok a relaxé un groupe néo-nazi se revendiquant d’un nationalisme slave et se considérant comme « enfants aryens ». Le groupe a brûlé un swastika dans le cadre d’une cérémonie païenne. Le Tribunal considère qu’un swastika est un symbole slave pré-chrétien « swarga » et qu’il ne s’agissait d’un acte de propagande mais d’une « présentation publique ».