Les élections législatives russes de 2016, quels résultats pour quelles conséquences ? [1]

Par Camille Coatalem-Serikoff

 

Le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, remporte, sans surprise, la majorité à la Douma, la chambre basse du Parlement russe, lors des élections législatives du 18 septembre 2016, avec 54,19 % des voix. Ces élections permettent, non seulement, de légitimer le pouvoir actuel, mais contribuent aussi à la mise en place d’une nouvelle stratégie du Kremlin pour les élections présidentielles de 2018.

Les manifestations de 2011, le tournant contestataire de la société civile

La période 2004-2008 est caractérisée par un optimisme national lié à la croissance économique générée par la rente énergétique. Cependant, depuis la crise économique de 2008, le gouvernement a perdu le soutien et la confiance de la classe moyenne. La désillusion est grandissante à partir de 2009 où on assiste à un manque de confiance dans l’efficacité des autorités suite au « choc » de la crise économique de 2008. En 2011, lors des précédentes élections législatives d’importantes contestations et mobilisations citoyennes contre les fraudes électorales et la corruption, ont eu lieu, une première à cette échelle. La police de Moscou avait estimé 5 000 manifestants, mais l’opposition a avancé des chiffres allant de 50 000 à 80 000 personnes. La contestation ne s’est pas limitée à la capitale. Des centaines de personnes avaient manifesté dans plusieurs villes de l’Extrême-Orient russe et en Sibérie. Les manifestants étaient au moins 1 500 à Vladivostok, le même nombre à Tomsk, en Sibérie, et entre 2 000 et 3 000 à Tcheliabinsk, dans l’Oural, selon des militants de l’opposition. Des rassemblements ont été rapportés dans de nombreuses autres villes de Russie. A Saint-Pétersbourg, la police a évalué à 10 000 le nombre de manifestants rassemblés samedi. Un des leaders de l’opposition libérale de l’époque, l’ancien ministre Boris Nemtsov (Le Monde, 10 décembre 2011), avait souligné que la mobilisation avait lieu dans 90 villes de Russie. Inquiété par ces mobilisations de grande ampleur et afin de garantir la stabilité du régime, le Kremlin opère, à l’époque, un tournant autoritaire et conservateur (répressions ciblées, discrétisation de l’opposition, pressions sur les médias, mise en avant des valeurs conservatrices, etc.).

Les élections législatives de septembre 2016

L’annexion de la Crimée (18 mars 2014) a permis à Moscou de réaffirmer sa puissance militaire et stratégique dans l’espace post-soviétique, et cela a été favorable à la montée du patriotisme. La population a été très sensibilisée par le discours anti-occidental et anti-libéral du pouvoir. Bien qu’aujourd’hui cette euphorie s’estompe et que la société russe donne des signes de fatigue et d’apathie (faible mobilisation plus sur les questions de politique étrangère Ukraine/Syrie), l’effet politique de l’annexion de la Crimée, et la recherche de stabilité par les Russes, ont assuré au parti Russie unie une large victoire aux élections législatives de septembre 2016. Le parti a remporté plus de 54  % des suffrages, soit 343 sièges sur 450 à la Douma, c’est-à-dire la majorité constitutionnelle. Le pouvoir a cherché à prévenir la répétition du scénario de 2011, ce qui a limité l’intérêt des fraudes le jour des élections (voir schémas). À Moscou et à Saint-Pétersbourg les falsifications ont été très limitées. Un arrondissement de Moscou a été remporté par le Parti communiste et dans les régions d’Irkoutsk, d’Oulianovsk et de Mari El le parti Russie unie est perdant. Les résultats de Russie unie pourraient être plus élevés, mais le parti n’a pas présenté de candidat dans 19 districts, en raison de nombreuses alliances conclues avec d’autres forces politiques. Le Kremlin a même toléré une représentation plus significative de l’opposition, à condition qu’elle ne mette pas en danger la stabilité générale du régime. Les irrégularités les plus significatives (manipulations des taux de participation et des résultats) se sont concentrées dans quelques régions spécifiques – Caucase du Nord, région de la Volga et oblast de Kemerovo.

Cependant, le chiffre le plus important n’est pas celui du nombre de sièges obtenu par Russie unie, c’est celui de la participation, comme le souligne Alexeï Navalny (homme politique et opposant de V. Poutine), dans une interview accordée à la revue Politique Internationale. Officiellement, celle-ci est de 47,8 %, mais en réalité, elle n’a été que de 36,5 %. Quelque 11 millions de bulletins auraient été ajoutés pour gonfler les chiffres. Il s’agit du taux de participation le plus bas jamais enregistré lors d’élections en Russie. Dans les grandes villes, le nombre de votants a été encore plus bas : à Saint-Pétersbourg, seuls 20 % des inscrits se sont déplacés  ;  à Moscou, à peine davantage. Si l’abstention a été aussi importante, c’est parce que les gens ont perdu espoir dans l’impact de leur vote et que le régime n’a pas su mobiliser. Ce faible taux de participation traduit l’apathie qui touche la population. Le soutien de la population au gouvernement se réduit, bien que selon un dernier sondage, 63 % des Russes souhaitent la réélection de V. Poutine aux prochaines élections présidentielles russes (Polit.ru, 16 novembre 2016).

L’opposition parlementaire

À l’exception du parti Libéral-Démocrate de Russie (LDPR), les partis de l’opposition parlementaire affichent des résultats bien inférieurs aux élections de 2011. Voter pour LDPR est devenu, pour les électeurs, un moyen de contester la politique du gouvernement, sans renier pour autant V. Poutine. Le score de ce parti a affiché une hausse remarquable, non seulement en Extrême-Orient, où il était déjà bien implanté, mais aussi à Moscou. En contrepartie de leur « loyauté » envers Russie unie, les trois partis « de l’opposition systémique » ont obtenu la moitié des postes de présidents des comités parlementaires, ce qui leur confère une plus grande capacité de lobbying (par exemple, le LDPR a pris la tête du Comité des affaires internationales et de celui de l’Industrie, tandis que Russie juste a obtenu le Comité des marchés financiers). Les candidats de Russie unie ont, certes, bénéficié du soutien financier et médiatique des autorités, mais les élections à un seul tour ont, aussi, empêché la formation d’alliance entre les candidats de l’opposition à l’issue du premier tour.

En effet, les partis d’opposition n’ont pas franchi le seuil électoral nécessaire à l’entrée à la Douma. Les faibles résultats obtenus par les présidents de Iabloko et de PARNAS, G. Iavlinski et M. Kassianov, prouvent que ces leaders n’ont plus aucune autorité morale. Le Parti du Progrès (considéré comme le principal parti d’opposition, présidé par Alexeï Navalny) n’a pas pu se présenter, car il a perdu en avril 2015 la possibilité de s’enregistrer. Ayant contesté l’annexion de la Crimée, ces partis ont perdu le soutien d’une partie de l’électorat qui les avait pourtant soutenus en 2011. En outre, la classe moyenne, souvent constituée de fonctionnaires ou de salariés d’entreprises publiques, craint la déstabilisation et cherche la protection auprès de l’État. Cela peut expliquer, en partie, le désintérêt pour les partis contestataires. Alors qu’en 2011, 30 % de la population aspirait à des réformes libérales sur le modèle occidental, cette frange ne représente aujourd’hui plus que 10 %. Les élections législatives de 2016 n’ont pas permis de percée de l’opposition, qui devra attendre une nouvelle élection pour faire valoir ses idées.

Le renouvellement des élites dirigeantes, une stratégie de transition du Kremlin

Ces derniers mois, les nombreux changements au sein du gouvernement semblent être interprétés comme un signal fort pour ce qui peut être attendu dans la politique russe dans les années à venir. L’ancien Président de la Douma, Sergueï Narychkine, a été transféré à la tête des renseignements extérieurs de Russie en septembre 2016. Plus tôt déjà, en août 2016 (Russia beyond the headlines, 16 août 2016), le président russe Vladimir Poutine a remplacé son chef de cabinet expérimenté Sergueï Ivanov par Anton Vaïno, un homme politique russe peu connu. Dernièrement, le ministre de l’Économie russe Alexeï Oulioukaev, a été arrêté pour extorsion de fonds. Le président V. Poutine l’a démis de ses fonctions «pour perte de confiance». Selon différents experts (Libération, 15 novembre 2016), il pourrait s’agir d’un règlement de comptes entre différents clans au pouvoir, ou de la poursuite d’un grand « nettoyage » entamé par V. Poutine pour renouveler les élites dirigeantes. En effet, la réduction des ressources économiques, les incertitudes géopolitiques et le renouvellement de l’idéologie favorisent la « guerre des élites » et « un jeu de chaise musicale ». V. Poutine promeut des membres de la nouvelle génération, des gens de 40 ou 50 ans, qui pourront acquérir de l’expérience, former leurs équipes et se faire accepter du grand public. Ces restructurations au sein des élites s’expliquent par la nécessité de placer des technocrates loyaux au sommet de l’État et nommer des figures politiques influentes à des postes jugés moins « sensibles » pour rééquilibrer les rapports de force. C’est de cette nouvelle élite que dépendront la stabilité et la continuité après le départ de V. Poutine. Un des changements les plus marquants a été la nomination de Viatcheslav Volodine, qui s’occupait jusque récemment de la politique intérieure au sein de l’administration présidentielle, au poste de Président de la Douma en septembre 2016. Cette nouvelle fonction fait de lui la quatrième personne la plus importante dans la hiérarchie officielle du Kremlin. Selon V. Inozemtsev [2], on peut s’attendre au tournant des élections de 2024, à voir l’émergence d’un véritable successeur.

V. Volodine pourrait être cette personne. Héritier idéal de V. Poutine, il est plus jeune que la plupart de ses pairs au sein de l’élite et est considéré comme un parfait manager politique. Fidèle au Président depuis 17 ans,
il n’est pas seulement un excellent bureaucrate, mais possède une expérience solide dans la politique. Venant d’une petite ville Saratov (région de la Volga) et pourra facilement obtenir le soutien des électeurs provinciaux.
Comme le souligne A. Kolesnikov (Carnegie.ru, 6 septembre 2016), depuis l’arrivée de V. Poutine au pouvoir, son taux de popularité a presque toujours dépassé 60 % (voir schémas). Sa popularité était très forte en septembre 2008, après la guerre en Géorgie, s’élevant au-dessus de 80 %, alors qu’elle est tombée à 63 % en 2011. Il aura fallu attendre l’annexion de la Crimée en mars 2014, pour que sa cote gagne 20 points. Ce degré de personnalisation du pouvoir demandera au successeur de V. Poutine d’être capable d’incarner le pouvoir de manière tout aussi forte et ferme.

Quelles perspectives s’ouvrent à la Russie ?

La réduction des ressources économiques de l’État entraînera une concurrence entre les nouveaux députés, qui devront négocier l’obtention de financements pour leurs régions avec le Kremlin. Selon un expert russe du Centre des technologies politiques, la stabilisation financière sera une priorité au plan intérieur. Le pays va au devant d’une stagnation économique, voire d’une récession. Le mécontentement social de différents groupes s’accumule progressivement. Le gouvernement sera amené à prendre des mesures sociales impopulaires, comme l’augmentation de l’âge de la retraite ou des licenciements de fonctionnaires. Le rôle de l’État dans l’économie pourrait encore croître. À l’horizon 2020-2022, l’épuisement des ressources conduira à la recherche d’un nouveau modèle dont la nature est aujourd’hui imprévisible.

Il y a peu de chance pour que les élections présidentielles russes de 2018 soient anticipées, comme l’ont laissé sous-entendre certains médias russes. Pour V. Inozemtsev, V. Poutine se représentera très certainement en mars 20183. Il a modifié la constitution en 2006 de façon à pouvoir rester au pouvoir après ses 66 ans. On peut penser que la participation de G. Yavlinski aux élections, qui incarnera symboliquement l’Occident, transformera ce vote en un plébiscite pour V. Poutine. Mais avec les récentes élections législatives, V. Poutine a la preuve de sa popularité, qui sera, probablement, toujours « intacte » dans un an et demi pour les élections présidentielles. Cependant, il est difficilement envisageable qu’il puisse se présenter pour un cinquième mandat. Vers le milieu de son 4e mandat (2021-2022), on peut prévoir que la consolidation des élites se fissurera et que la « lutte pour le trône » déstabilisera inévitablement la société. Cette dernière tient à la stabilité et ne voit aucune alternative à Poutine. Elle n’est pas prête à de grandes mobilisations ni à de grands sacrifices. On peut penser que l’agenda interne qui supplante aujourd’hui progressivement la politique étrangère créera des risques pour le système à moyen-terme.

 

[1]  Article en partie issu d’une prise de notes lors d’une table-ronde à l’Institut français des relations internationales, autour d’Igor Bounine et Alexeï Makarkine, président et vice-président du Centre de conjoncture politique.

[2] V. Inozemtsev, « Duma Elections and the Future of Russian Politics After Putin », Jamestown Foundation, Eurasia Daily Monitor, vol. 13, n°150, 19 septembre 2016.

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