Communiqué LDH
A Colmar, à Strasbourg, à Grasse, à Clermont-Ferrand il y a seulement quelques jours, des personnes interpellées par la police sont décédées brutalement. Dans chacun de ces cas, il a été fait un usage disproportionné de la force. Il y a eu décès car il y a eu violence de la part de la police et la suspicion existe sur son rôle lors des interpellations. Quand une garde à vue, une interpellation, un contrôle d’identité se terminent par la mort d’un homme, il est légitime d’interroger les conditions du décès, d’analyser la façon dont les forces de police ont opéré. D’abord pour savoir ; ensuite pour prévenir la répétition du drame ; enfin parce que l’existence de moyens de coercition implique une confiance absolue des citoyens dans la justesse de leur usage.
Dans son rapport d’activités 2010, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) est sans ambiguïté : « La Commission a adopté deux avis concernant les circonstances de deux décès, intervenus l’un en 2008, l’autre en 2009, au cours ou à la suite d’une interpellation par des fonctionnaires de police. Elle a conclu, dans les deux affaires, que les personnes interpellées avaient été victimes d’un traitement inhumain. Elle mène actuellement des investigations dans trois autres affaires concernant également les circonstances dans lesquelles trois personnes sont décédées au cours d’une interpellation. » Dans l’avis du 12 avril 2010 concernant le décès de Hakim Ajimi, à Grasse, la Commission souligne : « Saisie des circonstances du décès de [ce] jeune homme de 22 ans, à la suite de son interpellation par les forces de l’ordre, le 9 mai 2008 à Grasse, la Commission a conclu à un usage excessif de la force et à une prise en charge inhumaine. ». Selon la CNDS, il y a bien eu une violation flagrante de l’article 10 du Code de déontologie de la sécurité.
L’audience de la semaine prochaine mettra en lumière ces phrases accablantes. Elle devrait aussi souligner que la comparution devant un tribunal correctionnel et la qualification du décès de Hakim Ajimi d’ « homicide par imprudence » est en parfaite incohérence avec les faits constatés par la CNDS. Enfin, comment ne pas s’étonner du délai de quatre ans entre les faits et leur jugement ? Il s’agit malheureusement d’un délai habituel, alors que la comparution est immédiate dans le cas de la moindre atteinte subie par un policier en service. Alors qu’il y a eu mort d’homme, le traitement fait par l’autorité judiciaire est inacceptable, et l’accès à la justice pour les familles un véritable parcours du combattant qui accroît la douleur du décès.
Ces faits procèdent d’un climat, d’une vision officielle du rôle de la police qui amène celle-ci à se croire autorisée, voire légitimée à utiliser la force de façon disproportionnée, et la répétition ne saurait se justifier en raison de la violence présumée des interpellés ou de l’impréparation des policiers. Même s’il faut juger de la responsabilité individuelle de chaque fonctionnaire de police impliqué, le gouvernement assume dans cette affaire une responsabilité écrasante, qui consiste à créer un cadre d’encouragement aux attitudes et aux pratiques violentes. En témoignent la banalisation de l’utilisation du Flash-Ball et l’autorisation du fusil à pompe.
La LDH affirme que la stigmatisation permanente de certaines composantes de la population, l’assimilation hâtive et fausse de telle communauté ou telle classe d’âge à la fraude ou la violence, l’accumulation de petites phrases insultantes en raison de l’origine supposée ou réelle, le lien affirmé à de multiples reprises et jusqu’à la nausée entre immigration, banlieues, délinquance et criminalité poussent les policiers à adopter des attitudes de « va-t-en-guerre » propices à toutes les bavures.
Dans des situations de tension extrême, comme celles que peuvent connaître les quartiers d’exil des grandes métropoles, dans des moments de montée des effets sociaux de la crise, le gouvernement, du Président au ministre de l’Intérieur, jouent les boute-feu. Il faut que cela cesse.
La police doit retrouver sa fonction républicaine de garante d’un ordre basé sur l’égalité, respectueux des libertés et de la fraternité. La LDH demande que toute la lumière soit faite, lors des procédures judiciaires intentées par les familles des victimes, sur les responsabilités respectives des différents échelons de la police nationale. La LDH attend enfin de la Mission de déontologie de la sécurité, qui a succédé à la CNDS, auprès du Défenseur des droits, qu’elle prenne toute sa place dans la définition d’une doctrine républicaine de l’utilisation de la force publique.
Paris, le 12 janvier 2012.