Par Isnelle Gouljar, présidente de la LDH de la Réunion
La Ligue des droits de l’Homme a présenté en 2016 à la Réunion, une exposition « Gaston Monnerville », « Combat pour les libertés » dans le cadre du 70e anniversaire de la Départementalisation. Cette exposition s’inscrivait dans une double démarche : celle de mobiliser et de renforcer l’action civique et laïque portée par le réseau réunionnais et celle de rappeler à la mémoire de tous les Réunionnais et de nos jeunes en particulier, le rôle joué dans le processus de la départementalisation par la LDH de la Réunion pour le changement de statut des quatre vieilles colonies. A cette occasion, Isnelle Gouljar a prononcé l’allocution suivante : « Pour un avenir solidaire ».
« La mémoire est reconstruction permanente. Alors rappelons les faits et les dates.Tout n’a pas commencé en 1946, la départementalisation a été largement engagée durant le Front populaire. Cette période est chargée de représentations pour les Français de Métropole dont beaucoup se souviennent de l’accord Matignon, les congés payés, les quarante heures. Les grèves de 1936 sont devenues un mythe collectif.
Chez nous, la revendication « La Réunion département français » se lit déjà sur les banderoles, lors des manifestations de rues à partir de 1935. Cette date n’est pas due au hasard. C’est le 14 juillet 1935 que Victor Basch, Président de la Ligue des droits de l’Homme nationale, militera pour un grand rassemblement dont on lui confiera la présidence, aux côtés de la CGT et devant 10 000 personnes. Ce fut le prélude du Front populaire de 1936. Au-delà de l’affaire Dreyfus, l’engagement militant de ce grand humaniste, l’amène à être un acteur important du Front populaire. C’est dans l’euphorie qu’il « déclare ouvertes les Assises de la paix et de la liberté ».
La campagne active menée par les militants aboutit le 3 mai 1936, à l’élection à la chambre des députés d’une large majorité de républicains authentiques. Le résultat des élections nationales qui voit la victoire de la gauche, ouvre une période d’espoir. Les grèves se succèdent, le gouvernement restaure la paix sociale en signant avec les syndicats les accords de Matignon. En un temps record, est obtenu le vote de mesures sociales exceptionnelles : la semaine de 40h, les 2 semaines de congés payés et le renouvellement des conventions collectives.
A la Réunion, dès que les travailleurs réunionnais sont informés des avantages obtenus par leurs homologues métropolitains, ils manifestent. La CGT est la seule centrale syndicale de 1895 à 1920. En 1936, elle compte 500 adhérents. On assiste après la période électorale à la création d’un comité de rassemblement populaire qui se tient le 9 août 1936 à Saint Denis. Le bureau qui préside la séance est composé de notables républicains, souvent francs-maçons : le maire de St Denis, Jean Chatel, le procureur, Le président de la Ligue des droits de l’Homme, Ludovic Revest, et le docteur Raymond Vergès, ligueur, directeur du service de santé, tous deux membres de la loge de l’Amitié. Il faut préciser que les ligueurs et la loge maçonnique « l’amitié » partageaient le même local situé dans la rue du Barachois, aujourd’hui appelée rue Jean Chatel.
On assiste à la formation des premières sections réunionnaises de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière). Ses militants organisent des réunions aux quatre coins de l’île pour tenter d’organiser les travailleurs. Autour de Léon de Lepervanche, cadre du CPR (Chemin de fer et port de la Réunion), un courant communiste essentiellement implanté au CPR s’affirme. Tous ces militants sont de la de Ligue des droits de l’Homme. La section de St Denis de la LDH compte 251 adhérents en 1938, dont 22 % d’employés du CPR, 13 % d’instituteurs ; au total 155 fonctionnaires sur 251, soit 61 %.
La solution du problème social à la Réunion passe à la fois par l’élévation des conditions de vie des travailleurs et par des réformes de structure. L’année 1937 est marquée par la radicalisation du mouvement ouvrier organisé. Le syndicat FRT (Fédération réunionnaise du travail) se structure à partir du réseau des employés de la fonction publique et du CPR. Les militants de la Ligue des droits de l’Homme sont à leurs côtés. D’ailleurs, ses dirigeants sont à la tête de la Fédération qui regroupe pas moins de 37 syndicats.
Le second semestre de 1936 et les années 1937 et 1938 sont ponctués de grèves qui débouchent sur une amélioration des conditions de travail. Il est bon de rappeler qu’à cette époque, dans beaucoup de secteurs d’activités, la journée de travail est de 12 ou 14 heures, payée 10 heures.
Le changement de statut politique de la Réunion est revendiqué avec force afin que disparaissent toutes les discriminations et injustices. Le 11 mars 1945, sous la bannière d’un Comité Républicain d’Action démocratique et sociale, le CRADS, présidé par le docteur Raymond Vergès et Léon de Lepervanche, les républicains de la gauche traditionnelle et de la droite modérée engageront des combats électoraux.
La demande de changement de statut de la Réunion recevra l’adhésion d’une majorité d’électeurs lors des élections municipales du 27 mai 1945. Raymond Vergès est élu maire de Saint Denis. Les 7 et 21 octobre 1945 ont lieu à la fois, un référendum et l’élection de députés à une assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution.
A l’issue de ce dernier scrutin, ce sont deux membres éminents de la LDH : Raymond Vergès et Léon de Lepervanche qui sont élus députés à la première Assemblée nationale constituante. Ils adhèrent au groupe parlementaire du PCF (Parti communiste français) et cosignent avec plusieurs élus des colonies, Martinique, Guadeloupe, Guyane, la Réunion, une proposition de loi en faveur de la création de quatre départements d’Outre-Mer.
Le 12 février 1946, Léon de Lepervanche et Raymond Vergès déposent un projet de loi demandant la transformation de la Réunion en département français. Ils rejoignent Gaston Monnerville (député de la Guyane), Aimé Césaire et Léopold Bissol (députés de la Martinique), pour revendiquer le classement des vieilles colonies françaises en départements français. Le 14 mars 1946, l’Assemblée constituante vote l’ensemble des propositions de loi qui deviennent une seule loi. Le vote de la loi du 19 mars 1946 tournera une page importante de l’histoire de la Réunion.
Je tiens à remercier Eugène Rousse, notre plus ancien ligueur, pour toutes ces sources d’information.
Que soient ici honorées les mémoires de Jean Hinglo, Raymond Mondon, Léonce Salez, Vinh San, Oyapoury, Les frères Simon et Evenor Lucas, Hoareau, Agénor du Tremblay, tous anciens ligueurs… et tous ceux qui ont œuvré au processus de la départementalisation ! Tous, comme Gaston Monnerville ont conjugué leurs énergies pour obtenir l’égalité des droits.
Les mouvements d’éducation populaire à la Réunion ont lancé un appel aux collectivités et à l’État pour concrétiser un partenariat et mobiliser davantage nos forces pour l’éducation en direction des jeunes de nos établissements scolaires et de nos quartiers. En ce moment où la transmission des valeurs de la République est à l’ordre du jour, la haute figure de Gaston Monnerville, qui fut président du Conseil de la République, puis président du Sénat pendant 22 ans, apparaît comme inspirante et exemplaire.
La présentation de cette exposition à la Réunion a été rendue possible grâce au soutien du conseil départemental et à l’appui de partenaires privés. Je veux les remercier et saluer spécialement, Mr ALORY, directeur régional d’Air France, en sa qualité spéciale de petit-neveu de Gaston Monnerville
Je voudrais terminer, en cette journée internationale des droits de la femme, rendre un hommage à Olympe de GOUGES, auteure de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, à Madeleine REBERIOUX, première femme présidente de la LDH de 1991 à 1995, à Mme la secrétaire d’État à l’égalité réelle, Ericka Bareights, première femme réunionnaise à accéder à de telles fonctions, aux femmes députées, Mmes BELLO, ORPHEE, à la présidente du conseil départemental, Mme Nassimah Dindar, première femme élue à la présidence de notre collectivité et à toutes les femmes de la Réunion.
A vous toutes, je fais mienne l’invitation de Monnerville : « Vivez debout, visière haute ! »