Par Timothée Ngakoutou, professeur de sociologie politique
Lutte contre les discriminations dans l’emploi, service civique, congé d’engagement, financement du permis de conduire… Quels changements et pour qui ? Il ne s’agit pas ici de faire le point sur les principales mesures de la loi sur l’égalité et la citoyenneté qui a été publiée au Journal officiel du 28 janvier 2017. Nous nous interrogeons « en creux » en mettant quelques dispositions de la loi en confrontation avec l’histoire et les pratiques, singulièrement à partir des Outre-mer.
La loi « égalité et citoyenneté » est un fourre-tout, seul un juriste peut en comprendre les méandres à travers les différentes références. Lecteur, je demande donc ton indulgence devant ma réponse qui j’en suis sûr, ne répond pas à ton attente.
Le dernier chapitre de cette loi parle de « durcissement des sanctions face aux actes de racismes et de discrimination ».
Il faut d’ores et déjà préciser une chose pour éviter toute confusion : ceux qui défilent dans la rue contre l’oubli, pour la mémoire des esclaves, contre la traite et l’esclavage ne doivent pas, par insidieux revirement, être pris pour des gens pratiquant un racisme et une discrimination à l’envers. Évoquer le devoir de mémoire, est-ce désigner quelqu’un à la vindicte publique ? Non, tant s’en faut.
Sénèque disait : « Il y a un présent au passé, la mémoire, un présent au présent, la perception, un présent relatif à l’avenir, l’attente. » Dès lors, une liaison entre la lutte contre les discriminations et le devoir de mémoire est nécessaire. Le passé doit aider à mieux profiter du présent afin de mieux préparer le futur. Le passé n’est pas un boulet à traîner. On ne peut construire l’avenir si on dissimule le passé. Il faut être en mesure de partager le passé. Il faut être capable de le transmettre.
Le 10 mai 2016 au Sénat, François Hollande, alors Président de la République, adit qu’il va créer une Fondation qui doit regrouper tous les acteurs et faire en sorte qu’une nouvelle institution puisse porter la mémoire de l’esclavage, de la traite, des abolitions. Cette Fondation doit aussi mener avec les collectivités locales, l’Outre-mer, d’autres pays une action qui puisse se déployer dans le temps, toute l’année, et qui puisse permettre, grâce à ce qui commence à être fait sur le plan scolaire, une mobilisation des jeunes pour combattre les préjugés et les haines.
Toujours au Sénat, François Hollande a souligné que « l’enseignement a pu intégrer la mémoire de l’esclavage […] il faut que l’Outre-mer se sente pleinement investi, parce que c’est l’Outre-mer qui nous rappelle cette mémoire. ».
On peut se demander si la « loi égalité citoyenneté » suffira pour instaurer des droits légaux, nécessaires à la vie sociale, institués par les règles juridiques nationales.
Cette loi pourra-t-elle créer la mixité sociale et l’égalité des chances ?
L’association dignité-égalité, si elle veut être indestructible, doit s’appuyer sur les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, seule articulation entre les valeurs et les règles d’organisation des sociétés humaines à l’intérieur de la nation.
Les droits de l’Homme, de chaque homme, dictent ses devoirs à la nation, régissent ses droits et ses codes. La présence de chaque individu en tant qu’être unique dans la notion d’humanité correspond à cette belle formule de Roland Barthes : « le macrocosme se mire dans le microcosme ».
Les droits de l’homme et de chacun ne seront respectés que si l’on sait d’où vient chacun. Ce qui, en l’occurrence, donne de la force au devoir de mémoire. Il faut également agir sur les mentalités, la relation à autrui. Ici la relation avec toutes les formes de la lutte contre la discrimination est évidente. A ce niveau, la persuasion passe essentiellement par les voies de l’éducation, dont le développement se fonde sur la liaison entre la connaissance et la tolérance. Il importe de mettre en œuvre une pédagogie de la communication pour agir sur les mentalités, les croyances, les idéologies.
La loi « égalité et citoyenneté » doit mettre en exergue le respect des droits de l’homme qui, joint au souci de prévention des conflits pousse à développer la justice sociale, en luttant contre la misère, la pauvreté, l’inégalité. De plus, le désir de témoigner de la solidarité doit conduire aux valeurs et objectifs communs.
En résumé, on peut dire que seuls le respect et la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales peuvent conduire à la lutte contre les discriminations, favoriser la communication, éviter la violence et faciliter la connaissance et la reconnaissance de la diversité nourrie par le devoir de mémoire.
Encart : les principales dispositions de la loi (Source : Service public.fr)
Lutte contre les discriminations : La loi prévoit de :
- simplifier les procédures sanctionnant les propos discriminants, le caractère raciste, homophobe ou sexiste devenant par ailleurs une circonstance aggravante pour tous les crimes et délits (viol, harcèlement sexuel, bizutage, chantage…) ;
- créer un nouveau contrat en alternance pour aider les chômeurs de moins de 28 ans à préparer les concours de la fonction publique et favoriser l’accès des jeunes peu ou pas diplômés aux recrutements dans les collectivités territoriales ;
- former à la non-discrimination les personnes chargées du recrutement et tenir compte de la diversité dans les entreprises dans le cadre des marchés publics ;
- améliorer la transparence dans l’attribution des logements sociaux et clarifier les critères de priorité (personnes handicapées, mal logées…) ;
- supprimer le livret de circulation et faciliter la domiciliation et l’inscription sur les listes électorales pour les gens du voyage ;
- expérimenter la systématisation du déclenchement des caméras piétons des forces de l’ordre au moment des contrôles d’identité.
Citoyenneté : La loi apporte aussi un certain nombre de nouveautés à l’adresse des citoyens :
- l’extension du service civique avec son ouverture notamment aux services d’incendie et de secours ;
- la reconnaissance de l’engagement dans les diplômes de l’enseignement supérieur ;
- la création d’un congé d’engagement non rémunéré pour consacrer du temps à une association ;
- la mise en place de la réserve civique tout au long de la vie en y intégrant toutes les réserves citoyennes (de l’éducation nationale, sanitaire…).
Jeunes : Enfin, pour les jeunes, la loi prévoit :
- une information systématique des 16-23 ans sur leurs droits en matière de santé et un accès plus facile à la CMU-C pour ceux qui sont en rupture familiale ;
- la possibilité de création et de gestion d’une association dès 16 ans sans autorisation préalable des parents ;
- l’utilisation du compte personnel de formation pour financer le permis de conduire.