Rapport sur la laïcité présenté lors du 81e congrès de la LDH les 2, 3 et 4 juin à Limoges
Certes, la dynamique anticléricale atteint son sommet avec Émile Combes, qui fait une application sectaire de la loi de 1901 aux congrégations et qui dépose un projet de loi de séparation de l’État et des cultes après la rupture (en 1904) des relations diplomatiques avec le Vatican. Mais il est renversé et ce sont à nouveau les partisans d’un compromis libéral et équilibré (essentiellement Briand et Jaurès, avec le soutien des autorités protestantes et juives, mais aussi… Francis de Pressensé) qui l’emportent [10] avec le vote de la loi de 1905, laquelle pose le double principe de liberté (individuelle) de conscience et de libre exercice (collectif) des cultes dès son article 1er. C’est précisément en ce qu’est aussi garanti cet exercice collectif que la loi de 1905 prolonge et complète celle de 1901, comme l’a noté Michel Tubiana en ouvrant notre Université d’automne l’année dernière.
Cependant, cette garantie n’a pu que heurter le trait caractéristique du modèle républicain français qu’est le refus des corps intermédiaires comme menaçant l’indivisibilité de la « grande nation ». L’individualisme libéral renforce ici la continuité centralisatrice pour considérer les groupes partiels et communautés de tout poil comme des ennemis de la République (absence, dès 1789, de reconnaissance formelle de libertés collectives dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen… [11] et adoption de la loi Le Chapelier en 1791). Or, l’Église catholique est le plus dangereux des concurrents pour le souverainisme jacobin, héritier de la vieille lutte contre l’ultramontanisme. Elle est donc, en tant qu’institution, doublement l’ennemi : conjoncturellement comme alliée de l’Ancien Régime, mais aussi structurellement comme le plus ancien rival institutionnel de l’État. Ainsi s’explique l’ambiguïté rédactionnelle de la loi de 1905, qui dit ne « reconnaître » aucun culte alors que l’équilibre qu’elle définit suppose que l’État les « connaisse » tous sans en privilégier désormais aucun. [12]
Ce bref regard sur notre passé suffit à faire apparaître la diversité d’approches de la laïcité qui a habité, dès l’origine, le « camp républicain ». On pourrait à ce titre y distinguer trois conceptions de la laïcité : l’« anti-religieuse de combat » (Émile Combes [13]), la « neutre abstraite petite-bourgeoise » (Jules Ferry [14]) et la « dynamique républicaine et sociale » (Jean Jaurès). Mais le retour historique met surtout en lumière la force du compromis de 1905, qui a permis de dépasser dans une large mesure ces contradictions en refusant la discrimination inacceptable que constituait la religion d’État [15] et en consacrant en droit la sécularisation de la République. C’est bien pourquoi la loi de 1905 constitue depuis près d’un siècle une véritable boussole pour l’ensemble des laïques : elle a articulé durablement la mise en œuvre des principes, si souvent antagonistes, de liberté et d’égalité, tout en ouvrant la porte laïque de l’édifice républicain à tous ceux, croyants, agnostiques ou libres penseurs, qui reconnaissaient la validité de ces principes.
Notre fidélité à l’héritage doit d’abord s’adresser à cette méthode de rassemblement autour d’une laïcité prise comme valeur commune de l’ensemble du corps social, valeur d’intégration et non d’exclusion. Pour prolonger la dynamique de 1789, les hommes de 1905 ont su répondre aux besoins politiques (au sens noble du terme) de leur temps, c’est-à-dire permettre aux catholiques d’aller vers la République sans que pour autant quiconque renonce aux valeurs de celle-ci ; de même, pour faire vivre l’esprit de 1905, nous devons répondre à la demande de liberté et d’égalité de millions de personnes désorientées et/ou discriminées, c’est-à-dire notamment permettre aux musulmans de ce pays d’être chez eux dans une République authentiquement laïque. Mais ce parallèle n’est légitime que dès lors que nous aurons identifié ce qui, depuis un siècle, a bouleversé la société française sans pour autant retirer sa pertinence, bien au contraire, à notre démarche principielle.