Texte adopté par le Comité central de la LDH
La situation des couples de même sexe a connu, ces dernières années, une évolution importante et rapide dans la plupart des pays européens.
Dès 1994, dans sa résolution sur l’égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne, le Parlement européen avait recommandé que soit mis un terme à « l’interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes » et que soit supprimée « toute restriction au droit des lesbiennes et des homosexuels d’être parents ou bien d’adopter ou d’élever des enfants ». Les Pays-Bas viennent d’ouvrir aux couples homosexuels l’accès au mariage et à l’adoption. En Belgique, le gouvernement s’apprête à déposer un projet de loi leur permettant de se marier.
En France, l’adoption du pacte civil de solidarité (Pacs) en novembre 1999 a brisé un tabou et permis la reconnaissance sociale et juridique des couples de même sexe. En dépit de ses imperfections et de ses lacunes, le Pacs, institution universaliste ouverte à tous, a constitué un progrès décisif dans le sens de l’égalité entre les couples homosexuels et hétérosexuels.
En laissant volontairement en suspens la question du mariage, de la filiation, de l’adoption, le Pacs est cependant loin d’avoir mis fin à toutes les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle des individus et des couples, qui découlent soit de la loi, soit des pratiques.
L’impossibilité de se marier prive les couples homosexuels d’une série de droits et de protections auxquels seul le mariage donne accès, à commencer par le droit à un séjour stable pour les personnes de nationalité étrangère.
Quand la loi est la même pour tous, son application ne l’est pas toujours. À la suite d’un divorce ou d’une séparation, des parents se voient encore trop souvent refuser la garde de leurs enfants, voire un simple droit de visite et d’hébergement, en raison de leur orientation sexuelle, par des magistrats qui font prévaloir leurs préjugés sur l’intérêt de l’enfant.
Les personnes célibataires qui sollicitent l’agrément en vue de l’adoption, comme la loi les y autorise, ne peuvent espérer obtenir cet agrément dès lors que leur homosexualité est connue, a fortiori si elles vivent en couple avec un partenaire de même sexe. La loi sur le Pacs, à cet égard, non seulement n’a rien changé, mais a paradoxalement renforcé l’attitude discriminatoire des autorités chargées d’accorder l’agrément.
En dépit de ces obstacles, les situations d’homoparentalité se multiplient : elles s’inscrivent dans le contexte des nombreuses mutations qui affectent aujourd’hui les structures traditionnelles du couple, de la parenté et de la filiation (familles « recomposées », recours aux procréations médicalement assistées, adoption …). La réalité a démenti depuis longtemps l’uniformité, parce que les relations affectives ne se laissent pas enfermer dans le cadre rigide de lois inadaptées.
De fait, ces situations ne sont pas prises en compte par le droit. Or l’absence de protection juridique fragilise les enfants autant que les parents. Il est donc du ressort de la loi de définir un cadre général et des garanties répondant à l’évolution actuelle de notre société et prenant en compte les revendications de liberté, d’égalité et de pluralisme dans la sphère de la vie privée.
Pour la Ligue des droits de l’Homme, toute réforme législative doit être fondée sur les principes suivants, qui doivent aussi inspirer les pratiques administratives et judiciaires :
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la liberté pour chacun de choisir son mode de vie et sa sexualité doit être garantie et protégée par la loi ;
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ni la loi, ni aucune autorité publique ou privée ne doivent porter atteinte à cette liberté, ce qui implique que toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle doit être proscrite et combattue ;
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l’égalité de principe entre toutes les sexualités doit se traduire par la reconnaissance de l’égalité entre tous les couples, sans distinguer entre les couples de même sexe ou de sexe différent ;
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la meilleure garantie de l’égalité des droits réside dans l’existence d’institutions universelles, ouvertes à tous, plutôt que dans la mise en place d’institutions différenciées ;
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la capacité d’être parent et d’élever des enfants n’est pas liée à l’orientation sexuelle. Aucune décision, ni administrative, ni judiciaire, mettant en cause les rapports d’un enfant avec l’un de ses parents ne peut donc être fondée sur l’orientation sexuelle de celui-ci ;
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s’il ne peut être reconnu un « droit à l’enfant », le désir d’enfant, en revanche, est légitime indépendamment de l’orientation sexuelle de celui qui l’exprime ;
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l’intérêt de l’enfant, qui est essentiel, doit être apprécié au cas par cas, en fonction des éléments d’une situation donnée. Il ne saurait donc être invoqué pour dénier a priori aux couples de même sexe la possibilité d’adopter un enfant, sur la base de préjugés qui ne trouvent aucun fondement dans la réalité observable ;
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l’établissement de la filiation d’un enfant par rapport à celui ou ceux qui en ont la responsabilité, lorsqu’ils n’en sont pas les parents biologiques, ne doit pas porter atteinte au droit de l’enfant de connaître ses origines.
La mise en œuvre de ces principes suppose :
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l’interdiction expresse, éventuellement inscrite dans la loi pour contrecarrer les pratiques et la jurisprudence en vigueur, de refuser l’agrément en vue d’adoption en raison de l’orientation sexuelle de la personne qui en fait la demande ;
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l’interdiction de prendre en considération l’orientation sexuelle d’un parent pour restreindre les droits attachés à la qualité de parent ;
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l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, de façon à conférer à ceux-ci, sur une base d’égalité, des droits auxquels ne donnent accès ni le Pacs, ni le concubinage ;
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la possibilité pour les couples de même sexe d’accéder à l’adoption, dès lors que sont clairement distinguées, dans l’établissement de la filiation de l’enfant adopté, la filiation biologique d’un côté, la filiation juridique et sociale de l’autre.
La question de l’homoparentalité ne peut pas et ne doit pas être isolée des problèmes généraux soulevés par l’évolution de la parentalité, de la filiation et de la famille. La mise en œuvre du principe de l’égalité des droits invite ainsi à réfléchir à la nécessité et aux moyens de réformer toute une série d’institutions du droit civil qui concernent aussi bien les hétérosexuels que les homosexuels.
Paris, le 7 juillet 2001