À Nantes le vendredi 1er juin.
À l’occasion du 37e congrès de la FNDIRP (Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes), le président de la LDH a pris la parole.
« Vous me permettrez tout d’abord, et avant même de partager avec vous quelques réflexions sur la période, de vous dire mon émotion et ma gratitude. Emotion, car la FNDIRP est l’association de celles et ceux pour qui les droits de l’Homme, la devise républicaine, l’universalité de la dignité humaine, n’ont pas été que de simples idées à débattre mais des valeurs pour lesquelles il valait de se battre, de souffrir et souvent, de mourir.
Gratitude parce qu’elle conjugue ces valeurs au présent dans des débats et des luttes où nous nous retrouvons au coude à coude, qu’il s’agisse de notre condamnation de la peine de mort et de la torture, de la solidarité avec les peuples en lutte pour leurs droits, de notre refus intransigeant de toute xénophobie, tout racisme, tout antisémitisme, de toutes discriminations qu’elles soient de nature sexuelle ou de genre, ethniques, sociales, territoriales.
A l’émotion et la gratitude s’ajoute la fierté. En effet, nos deux associations partagent une conception active, militante de leur activité ; loin de toute posture contemplative, la FNDIRP et la Ligue des droits de l’Homme pratiquent leur citoyenneté sur un mode de conviction et d’engagement. C’est d’ailleurs ce qui les a amenées à se retrouver partenaires du même Pacte pour les droits et la citoyenneté, Pacte que nous avons porté dans le débat public qui a accompagné l’enjeu présidentiel et qui inspire notre démarche pour nous inscrire dans un travail de réhabilitation des valeurs de la République.
Car elles ont souffert et beaucoup perdu, sinon de leur valeur intrinsèque, du moins de leur effectivité, singulièrement sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Certes l’ancien président n’est pas la seule et unique cause de nos maux. L’actualité européenne en fait hélas la démonstration : la montée de l’extrême droite xénophobe et autoritaire en Europe, les tentations de repli national, la crise de l’euro – qui est aussi une crise de l’Europe et d’une démocratie évaluée à l’aune de la règle d’or – dont l’or est d’ailleurs la seule règle. Tout cela montre bien que nous sommes confrontés à des tendances lourdes et loin d’être exclusivement hexagonales.
Dans le monde d’aujourd’hui, les enjeux sont indivisiblement nationaux et européens : il s’agit donc à la fois de peser sur le « post-2012 » en France et sur le « pré-2014 » dans l’Union européenne avec des élections européennes de 2014 sans doute décisives pour l’avenir de l’Union.
Ne nous dissimulons pas que cette période – souvent comparée aux années trente – porte des périls lourds : la crise économique – résultante d’un ensemble de crises systémiques enracinées dans une dévaluation structurelle du travail –, les logiques de concurrence exacerbées entre les peuples, l’ampleur des sacrifices demandés à ces peuples sans qu’il soit jamais réellement question de justice, de redistribution, de mise en cause des privilèges. Tout ceci pousse à des mises en œuvre politiques très éloignées des valeurs démocratiques. Ici, certains considèrent que le peuple fait problème ; là, on privilégie artificiellement « l’expertise » sur le débat, supposé chronophage et stérile ; ailleurs, on exalte les vertus de la tradition autoritaire sur le « désordre démocratique ».
A sa façon bien à lui, Nicolas Sarkozy a incarné, sur un mode particulièrement agité, ces périls. Il serait vain de se perdre dans une énumération – par définition sans fin – des agressions verbales et législatives de notre précédent gouvernement. Mais il n’est pas inutile de tirer un bilan des dégâts, ne serait-ce que pour prendre la juste mesure de ce qu’il s’agit aujourd’hui de construire.
D’une certaine façon, sous couvert de volontarisme affiché, ce gouvernement aura largement contribué à nourrir le discrédit du politique et du débat. Il y a eu bien sûr ces liaisons sulfureuses et ostentatoires avec le monde de l’argent, ces scandales opaques structurés autour des ventes d’armes, le soutien décomplexé aux dictatures méditerranéennes. Il y a eu aussi, érigé en credo, cette affirmation permanente que chaque problème avait une cause et qu’il suffisait d’éliminer cette cause pour régler le problème. Ce simplisme revendiqué, véritable déconstruction de la complexité démocratique, a construit un paradigme destructeur du « eux » et « nous ».
Ainsi s’est élaboré sous nos yeux le projet d’une société d’individus, en voie de désaffiliation et voués à marchander en permanence leurs droits fondamentaux contre des « devoirs » commodément substitués à la notion de responsabilité collective et individuelle.
Ce cadre de pensée avait une fonction. Convaincre l’opinion publique que le gouvernement travaillait à protéger les Français et le pays, à apaiser leurs peurs. Il procédait d’un calcul : faire oublier, en mettant en avant les fonctions régaliennes de l’Etat, sa politique économique et sociale, toutes deux frappées du sceau des injustices et d’inégalités croissantes. Et qu’à défaut d’assurer l’égalité d’accès à des services publics rénovés et efficaces, qu’à défaut de faire pièce aux prédateurs des marchés financiers, qu’à défaut d’assurer la sûreté de chacun et les libertés de tous, il était particulièrement réactif dans le domaine de la répression policière et judiciaire. Bref, qu’à défaut d’être social, il savait être sécuritaire.
Ainsi, là où la République a pour mission de rassembler, l’ex-président a prôné l’élimination. Ici, au karcher, là avec sa honteuse politique du chiffre ; ici en encourageant la rétention de sûreté, là en orchestrant de toute pièce un débat sur l’identité nationale.
Là où la République promet l’égalité, l’ex-président a discriminé pour mieux stigmatiser ; avec son trop fameux discours de Grenoble ; en désignant des populations entières à la vindicte : Roms, Comoriens, musulmans ou supposés tels au vu de leur « apparence ». Là où la République s’affirme fraternelle, l’ex-gouvernement a organisé la chasse à ces dangereux fraudeurs que sont les faux malades, les faux chômeurs, les faux Français…
Au fil des confrontations et des luttes, des descentes de police et des mises en rétention d’enfants en bas âge, face à l’accumulation des fichiers, des peines planchers et des scandales, un mot d’ordre est remonté des profondeurs de la mémoire partagé de notre peuple, un mot d’ordre à la fois terrible et enthousiasmant. Si le mot de « résistance » s’est imposé dans les rues et les rassemblements, singulièrement chez les plus jeunes, c’est qu’il faisait référence à un engagement éthique, pour la liberté, pour l’humanité et qui avait su porter le programme de gouvernement d’une société construite sur la solidarité.
Ces résistances donc, ont trouvé leur point de convergence dans la défaite électorale de la droite à la présidentielle. Il s’agit aujourd’hui de les conjuguer au présent face à des défis nouveaux mais qui renvoient fondamentalement aux mêmes enjeux du vivre ensemble. Il s’agit tout à la fois de protéger et de se placer en situation de construire. Nous le faisons dans des conditions très difficiles.
On sait que les thématiques rampantes du sarkozysme se sont muées en paradigme dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle ; la viande hallal, la burqa, le péril islamique et l’instrumentalisation de la laïcité, le droit de vote des étrangers, agité comme épouvantail, ont été, toute honte bue, appelés à la rescousse d’une droite qui refusait d’assumer son bilan et qui, pour gagner était prête à tout. Ce qui nous a valu, en cadeau de départ en quelque sorte, à la mise en compatibilité de Marine Le Pen avec les valeurs de la République, et l’hégémonie intellectuelle de cette formation sur la droite.
Le bilan de cette séquence est que nous héritons d’une situation à la fois extrêmement dégradée au plan des idées et extrêmement tendue au plan politique. Une situation qui nous enjoint, au risque du pire, de mobiliser toutes nos forces pour restaurer l’idéal républicain, dans sa dimension de liberté, de fraternité et de progrès social, pour passer de l’alternance à la construction d’alternatives.
Ni la FNDIRP, ni la LDH ne sont à cet égard des voyageurs sans bagages, ce dont témoignent les propositions qu’elles ont toutes deux inscrites au Pacte citoyen pour les droits et la citoyenneté.
Au-delà de ces éléments concrets, illustratifs de valeurs, comment pouvons nous jouer un rôle et peser sur les processus en cours ? Cela passe avant tout par la réaffirmation de valeurs fondatrices.
Il nous faut, ensemble :
– réhabiliter la notion de droits fondamentaux comme fondement même du vivre ensemble, face à l’équation en faux semblant symétrique des « devoirs » et comme fondement d’une société de solidarité ;
– réhabiliter la notion d’intérêt général, sans laquelle il n’est pas possible de penser une éthique d’engagement politique. La notion renvoie à une mécanique subtile de tensions, de conflits, de débats et d’arbitrages multiples, à un nouvel ordre public social respectueux du dialogue social et du dialogue civil ;
– réaffirmer la primauté des valeurs démocratique sur les valeurs boursières.
Plus concrètement, et parce que l’aspiration démocratique, avec son corollaire, l’égalité, est aujourd’hui le pivot sur lequel il nous semble possible d’articuler ces valeurs à des engagements concrets, nous entendons réaffirmer plusieurs enjeux de citoyenneté.
On pense plus particulièrement au droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers non européens ; à l’exigence de mettre fin partout au cumul des mandats, au cumul des fonctions, aux conflits d’intérêts. A faire coïncider davantage les lieux de représentation avec les réalités démographiques, économiques et sociales ; à faire élire les conseils intercommunaux au suffrage direct, à redéfinir le corps électoral du Sénat selon la règle « un homme, une voix », à inscrire de la proportionnelle dans les mécanismes de représentation, à penser un statut de l’élu, à penser des nouvelles garanties face aux nouvelles technologies, à garantir enfin l’égalité des droits des citoyens face à la justice, à la fiscalité, l’éducation et la santé, face aux disparités territoriales…
Ces objectifs, nous entendons les porter et les faire vivre dans le débat public dès la rentrée politique et sociale de l’automne, même s’ils ne résument évidemment pas tous les combats de la LDH.
Notre conviction est que la société civile a plus que jamais son mot à dire. La démarche qui nous avait conduit à proposer à cinquante associations et organisations syndicales de se regrouper sur des valeurs et des propositions concrètes reste donc bien d’actualité. Cette conviction, il nous revient de la faire vivre dans nos rencontres, dans nos propositions, dans nos engagements. Comme le proposait Jean Jaurès, il s’agit bien de « finir la République », qui n’est jamais réellement elle-même que lorsqu’elle est effectivement égale, libre, sociale et fraternelle. »