Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la LDH a lu « Laïcité, laïcité(s) ? » de Jean-Michel Ducomte.
Encore un livre sur la laïcité ? Que d’articles, d’ouvrages, d’éditoriaux et de controverses sur ce sujet brûlant depuis un quart de siècle ! Mais « Laïcité, laïcité(s) » mérite à plusieurs égards une attention particulière. D’abord en raison de son titre même, qui pose clairement, au-delà de la difficulté de définir le concept et de s’entendre sur une définition, le décor français d’un mélange subtil d’unité et de dualité : dans ce pays, depuis près de cent cinquante ans tous les républicains revendiquent le partage d’un héritage laïque, mais en même temps, quasiment dès l’origine des combats laïques ce sont bien deux conceptions, celle d’Emile Combes et celle d’Aristide Briand et de Jean Jaurès, qui ont coexisté, se sont souvent affrontées et ont toutes deux contribué à poser la « question laïque ».
L’une de ces « laïcités imaginées », au nom de la lutte de la raison contre l’obscurantisme, pose l’exigence laïque comme un engagement anti-religieux ; l’autre, au nom de la liberté individuelle, y voit l’émancipation de toute tutelle religieuse sur la société et sur l’Etat mais aussi la garantie à tous, croyants, agnostiques ou athées, d’une égale liberté non seulement de conscience mais encore d’expression publique des convictions (notamment sous la forme des cultes) sous la seule réserve de l’ordre public démocratique (incluant bien sûr le respect de la liberté d’autrui).
Ce livre, qui explicite clairement la dialectique des laïcités dans le parcours historique et l’actualité républicaine de notre pays, suscite aussi l’intérêt en raison de son auteur. Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l’enseignement, avocat et universitaire, est un acteur informé et expérimenté des débats sur la laïcité et a déjà publié tant sur ce sujet que sur d’autres questions de droits et libertés. Depuis l’époque des Cercles Condorcet, nos deux Ligues ont cheminé ensemble à travers bien des bourrasques, et ce dialogue qui a commencé dès les premières années de la LDH est essentiel pour l’enrichissement de notre réflexion. « Laïcité-laïcité(s) » en porte clairement témoignage.
La richesse de l’ouvrage tient notamment à ce qu’il est construit sur la succession de trois approches.
La première renvoie à ce que l’on pourrait nommer une philosophie de la République, interrogeant les « fondements et conditions » de la laïcité dans des développements d’une grande richesse (tant sur la question des rapports entre espaces publics et privé que sur celle des catégories d’universalismes ou encore sur les rapports entre démocratie, éducation et laïcité).
La deuxième se veut résolument comparative, dans le temps et dans l’espace, afin de raisonner la singularité historique française, et comporte notamment des analyses stimulantes tant de la dialectique de l’unité et de la diversité en la matière dans l’Union européenne que de la « géopolitique de la laïcité » à l’échelle mondiale.
La troisième enfin se situe sur le terrain du droit comme cadre d’organisation de la réalité sociale, passant en revue l’ensemble des questions de principe mais aussi des « sujets qui fâchent » en dépassant les confortables dogmatismes souvent assis sur l’ignorance.
On voit ainsi qu’aucun laïque soucieux de comprendre le monde pour continuer à le transformer ne devrait négliger la remarquable source de connaissances et de réflexions que peut lui apporter ce livre.
– Jean-Michel Ducomte.- Laïcité, laïcité(s) ? .- Ed. Privat, Toulouse, 2012).