Monsieur le Président, Je tiens à porter à votre connaissance les faits suivants qui me paraissent parfaitement choquants d’une part et illégaux d’autre part. Par manque de temps, je n’ai pas eu le temps de faire immédiatement ce courrier et ai dû attendre cette période de congés. Pour me rendre de Domont, dans le Val d’Oise, à Paris, le samedi 17 novembre dernier, j’ai pris le train de 14h04. Il s’agissait d’un train à étage. Sur le quai de la gare de Domont, il y avait une quinzaine de jeunes adolescents (jeunes issus de familles d’origine étrangère), qui sont montés dans le train. Sur le quai, il y avait cinq membres de la police ferroviaire qui sont montés dans la même voiture. Je me suis mise à l’arrière de la voiture, à l’étage. Les jeunes se sont installés à l’avant de la voiture, à l’étage également. Quelle ne fut pas ma surprise de voir les membres de la police ferroviaire monter et faire évacuer les personnes « normales » (« adultes », « blancs ») installées à des places situées près des jeunes. Des membres de la police ferroviaire se sont alors mis en travers du couloir, appuyant leurs bras sur les sièges de chaque côté, de part et d’autre des jeunes, les « enfermant » ainsi dans un territoire délimité, et se sont mis à contrôler leurs titres de transport. Intriguée par cette attitude, je me suis rapprochée au plus près, juste derrière le membre de la police ferroviaire le plus proche de moi effectuant ce « barrage » particulier. Le jeune qui était juste devant moi a protesté en demandant pourquoi c’était toujours eux qui étaient contrôlés, jamais les autres passagers. Le membre de la police ferroviaire qui barrait la couloir a commencé par lui répondre de façon très méprisante et agressive. Un de ses collègues lui a fait signe de se calmer et est intervenu pour expliquer (poliment et calmement d’ailleurs), qu’ils avaient des ordres, qu’ils ne faisaient que faire leur travail, mais que celui-ci consistait justement à contrôler les gens comme eux. Je suis alors intervenue pour protester à mon tour contre ce contrôle « sélectif » en disant que ce genre d’attitude discriminatoire ne pouvait être ressentie que comme méprisante, voire « raciste » (anti-beur et noir et anti-jeune) et déclencher l’exaspération et « la haine » de la part des jeunes qui la subissait. Le membre de la police ferroviaire m’a alors répondu que j’ignorais sans doute que la veille il y avait eu un problème sur la ligne, causé par une bande de jeunes dont le signalement correspondait, et que si je prenais leur défense, c’est que je ne m’étais jamais trouvées face à un problème grave. J’ai répondu qu’un groupe de jeunes ados de banlieue ressemblait bien évidemment à un autre groupe de jeunes ados de banlieue et que ce n’était sans doute pas en contrôlant leurs titres de transport qu’ils allaient trouver ceux qui avaient posé des problèmes la veille sur la ligne ! Le membre de la police ferroviaire a ajouté qu’il y avait beaucoup de gens hypocrites qui avaient peur quand ils voyaient se produire des dégradations ou des agressions et n’osaient pas intervenir eux-mêmes mais critiquaient systématiquement les interventions de la police ferroviaire… ce qui semblait être dit à mon intention ! Il a ajouté que si Vigipirate avait été réactive, c’était bien parce qu’on était dans une situation particulière… ce à quoi j’ai répondu que je ne voyais pas le rapport entre contrôler les titres de transport d’une quinzaine de gamins et Vigipirate. Je n’ai pas voulu continuer sur ce terrain, mais cela est très grave, car c’est sans aucun doute assimiler ces jeunes d’origine étrangère au « terrorisme » au nom duquel le plan Vigipirate a été réactivé. Pendant toute cette conversation, ses collègues continuaient de contrôler les titres de transport des jeunes (ils étaient tous en règle semble-t-il). Ayant enfin fini, ils ont « libéré » la zone barrée et sont descendus, sans avoir contrôlé aucun autre passager « normal ». Je tiens à émettre les plus vives protestations contre ce genre d’attitude et de contrôle « au faciès ». C’est d’une part totalement à l’opposé du « b.a.-ba » de la pédagogie, des intentions affichées concernant « l’intégration » des jeunes issus de familles d’origine étrangère, et d’autre part totalement illégal au regard de la loi de 1972 contre les discriminations raciales. Je souhaite, Monsieur le Président, que des ordres très stricts soient donnés aux responsables de la police ferroviaire, et par eux à l’ensemble des salariés de cette police, accompagnés si nécessaire des formations et informations adéquates, afin que tous respectent la loi et l’esprit de la loi : aucun jeune « basané » ou « noir » ne doit être traité différemment d’un adulte « blanc » ordinaire ; tous ont droit au respect de leur dignité. Ce sont aux forces « de l’ordre » de donner en toute circonstance le « bon » exemple. A aucun moment, elles ne devraient bafouer des droits élémentaires, et ce même si les jeunes ne sont pas toujours faciles et ne se comportent pas comme les autres le souhaiteraient ! C’est à cette condition que l’on peut espérer que les jeunes se comporteront un jour comme des citoyens responsables. Toute autre attitude ne peut qu’aggraver les tensions entre les jeunes et le reste de la société et va à l’encontre des buts recherchés, notamment celui d’une plus grande sécurité pour l’ensemble des usagers et des personnels de la SNCF. Je souhaite être informée des suites que vous voudrez bien donner à ce courrier et vous en remercie par avance. Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées. Madame M. L. Paris, le 2 janvier 2002