Monsieur le Président de la République, Le 26 juin dernier, Maître Radhia Nasraoui, avocate tunisienne et défenseur des droits de l’Homme unanimement respectée, a entamé une grève de la faim. Par cette action non-violente elle entend d’abord dénoncer la condamnation pour délit d’opinion de son mari, Monsieur Hamma Hammami, porte parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), parti non autorisé, et directeur du journal Al Badil interdit. Monsieur Hammami a été condamné pour appartenance au PCOT à trois ans et deux mois de prison aux termes d’un procès que tous les observateurs internationaux (notamment Monsieur l’avocat général Lyon-Caen, mandaté par la FIDH) ont caractérisé comme totalement inéquitable et est détenu depuis le 2 février 2002 à la prison civile de Tunis. Depuis son arrestation, Monsieur Hammami, qui est victime de mauvais traitements et dont les droits fondamentaux ont été violés à de nombreuses reprises, est détenu en cellule d’isolement dans le pavillon des condamnés à mort. Il a observé une grève de la faim pour obtenir son transfert dans un autre pavillon. Il n’a pratiquement pas pu rencontrer ses avocats depuis son arrestation. Maître Nasraoui, son épouse, n’a pas eu droit de lui rendre visite depuis le 6 avril dernier. Les conditions dans lesquelles se sont déroulées les rares visites de sa famille ont été particulièrement strictes : deux grillages le séparent de ses proches et la visite se déroule en présence de plusieurs gardiens. Il n’a toujours pas pu voir sa fille Sara, née alors qu’il vivait dans la clandestinité. La FIDH a saisi, le 5 juillet 2002, le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, selon la procédure d’urgence en vigueur, du cas de M. Hamma Hammami. La famille de Monsieur Hammami subit en outre depuis des années un harcèlement constant de la part des autorités tunisiennes : sa fille Nadia a été victime d’une tentative d’enlèvement, son autre fille Oussaima a été terrorisée à plusieurs reprises par des agents de la police politique. La dernière née, Sara, a même fait l’objet d’une surveillance policière devant la crèche… A plusieurs reprises, le domicile de la famille a été l’objet d’effractions et de « perquisitions » de la part d’individus, dont la FIDH et la LDH ont toutes les raisons de penser qu’ils sont liés aux forces de police. Toute les plaintes déposées par Maître Nasraoui à ce sujet sont restées sans suite. Maître Nasraoui est entrée dans sa troisième semaine de grève de la faim ; suivant constamment l’évolution de sa situation et lui ayant rendu visite, le 11 juillet, en la personne de Jean-Pierre Dubois, cosignataire de la présente, la FIDH peut en témoigner avec force : c’est désormais non seulement sa santé mais sa vie qui est en jeu. Or, comme son mari, elle n’a jamais commis le moindre acte violent et s’est bornée à exercer les droits fondamentaux garantis par tous les instruments internationaux ratifiés par la Tunisie, notamment par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et aussi par l’article 2 de l’accord d’association de la Tunisie à l’Union européenne. Nous considérons qu’il est du devoir des autorités européennes, et tout particulièrement françaises, d’intervenir vigoureusement auprès des autorités tunisiennes afin que celles-ci respectent enfin leurs obligations internationales en matière de droits de l’Homme et, au cas particulier, qu’elles mettent fin aux persécutions pour délits d’opinion dont sont victimes Monsieur Hammami et sa famille. En tout état de cause, les conditions de détention de Monsieur Hammami doivent immédiatement redevenir humaines et conformes aux standards des instruments internationaux, ce qui implique notamment le respect de son droit à s’entretenir dans des conditions régulières avec ses proches et avec son avocat. Vous l’aurez compris, Monsieur le Président de la République, nous nous adressons à vous dans un contexte d’extrême urgence. Il en va non seulement des valeurs de respect de la démocratie et de l’État de droit qui fondent notre conception des relations internationales et en particulier de la coopération euro-méditerranéenne – conception dont nous ne doutons pas que vous la partagiez – mais aussi de la vie, menacée à court terme, de Maître Nasraoui et du respect des droits les plus élémentaires d’êtres humains qui n’ont d’autre tort que de partager eux aussi ces valeurs mêmes. Cette vie et ces droits dépendent aujourd’hui de l’engagement de la communauté internationale, et au premier chef de celui de la France dont chacun connaît les liens historiques et encore vivants avec la Tunisie. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération. Sidiki Kaba, président de la FIDH Paris, le 19 juillet 2002
Michel Tubiana, président de la LDH
Jean-Pierre Dubois, secrétaire général adjoint de la FIDH, vice président de la LDH