La tragédie de l’affaire d’Outreau met une nouvelle fois en lumière le mauvais fonctionnement de l’institution judiciaire constitutionnellement garante des libertés individuelles. Sept personnes ont été accusées des plus horribles crimes et ont accompli des mois de détention provisoire avant d’être acquittées au terme d’un procès chaotique. Six autres sont condamnées alors que les observateurs du procès ont la conviction de leur innocence. Il serait dérisoire de faire reposer la responsabilité de ce désastre sur la jeunesse ou l’incompétence d’un juge d’instruction entêté. Rappelons que les condamnations ont été prononcées à la suite des réquisitions stupéfiantes du représentant du ministère public, soucieux de sauver, autant que faire se pouvait encore, l’image désastreuse de l’instruction révélée par le procès public. Le même représentant du ministère public avait requis les maintiens en détention pendant l’instruction et le renvoi devant la Cour d’assises des accusés. Rappelons que ces détentions avaient été ordonnées et prolongées par un juge des libertés et de la détention dont les décisions, confirmées par une chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Douai composée de trois hauts magistrats qui avaient également validé cette instruction catastrophique. Ce ne sont pas de telles pratiques qui renforceront la protection des enfants martyrisés. Ils n’ont nul besoin d’une autre injustice, fondée sur leur parole blessée, sacralisée par des experts à la compétence incertaine, et de juges sûrs d’eux-mêmes qui ne savent plus douter, et dont on peut craindre parfois qu’ils préfèrent prendre le risque de laisser un innocent en prison plutôt que celui de mettre un coupable en liberté.
Les déclarations compassionnelles de Monsieur Perben feraient rire si la situation s’y prêtait. La loi du 15 juin 2000 avait réussi à faire baisser le taux scandaleusement élevé des détentions provisoires mais l’immense campagne sécuritaire, commencée avec le tollé que souleva la mise en liberté d’un homme détenu pour des faits dont il vient d’être jugé innocent, a porté ses fruits empoisonnés. Les lois votées sur proposition du garde des Sceaux et qui portent son nom ont renforcé les pouvoirs en la matière d’un Parquet dont la soumission au gouvernement a été rappelée avec énergie. Le résultat de cette politique est une augmentation du tiers des effectifs de présumés innocents détenus. C’est à une autocritique que devrait se livrer d’abord le garde des Sceaux plutôt que de verser démagogiquement des larmes de crocodile.
Depuis des années, la Ligue des droits de l’Homme rappelle la nécessité de réformer notre procédure pénale en profondeur. Pourquoi donc renvoyer encore en commission l’étude d’un projet de réforme alors qu’il existe dans les tiroirs du ministère de la Justice depuis plus de douze ans un projet qui fut unanimement salué mais jamais mis en œuvre, celui de la Commission présidée par Madame Delmas-Marty, professeur au collège de France ? Ce qu’il faut c’est renforcer l’indépendance et la force des juges qui contrôlent les conditions dans lesquelles l’enquête est menée, en renforcer le caractère contradictoire et mettre en pratique les principes qui sont aujourd’hui énoncés dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale et qui sont conformes aux exigences de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Paris, le 6 juillet 2004