La CNIL estime que l’utilisation des données personnelles des usagers des services sociaux pour contrôler l’activité des assistants sociaux porte atteinte aux droits fondamentaux que la loi informatique et libertés reconnaît aux personnes
L’Intercollectif DELIS (Droits et Libertés face à l’Informatisation de la Société) a relayé depuis plusieurs années les difficultés exprimées par les assistants sociaux des Caisses régionales d’assurance maladie quant à l’utilisation du logiciel ANAISS pour la gestion informatisée des dossiers des assurés sociaux qu’ils reçoivent.
En particulier l’obligation est imposée aux assistants sociaux de résumer la situation des personnes reçues à l’aide de catalogues préétablis comportant des caractérisations très subjectives et réductrices (par exemple jusqu’en 2001 : ‘insatisfaction dans les relations sociales’, ‘conflits interpersonnels’, ‘difficulté d’exécution d’un rôle’, puis plus récemment : ‘non prise en compte de la santé’, ‘ problème pour recouvrer un statut dans la sphère privée et/ou exercer sa citoyenneté’ …). A partir de ces formules, les assistants sociaux doivent définir des objectifs à atteindre avec l’usager et en « mesurer » le degré d’atteinte (objectif atteint, non atteint ou partiellement atteint). Nous avons alerté à la fois sur la stigmatisation ainsi portée sur les personnes et sur les conséquences dans le travail d’aide proposé qui, du fait de cette caricature d’évaluation de leur situation, ne permet plus de prendre en compte les usagers dans la complexité de leur situation et dans la globalité de leur démarche.
La CNIL a été saisie en 2004 d’une demande de la CNAMTS consistant à élargir les finalités d’ANAISS au contrôle de l’activité des assistants sociaux, à partir des données personnelles collectées sur les usagers.
Nous nous félicitons de la position adoptée par la CNIL avec la délibération n°2005-038 du 10 mars 2005 :
– En estimant que certaines des caractérisations figurant dans les catalogues préétablis de problèmes concernant les usagers sont non pertinentes et en demandant à la CNAMTS de recourir à des formulations plus « neutres et objectives », la CNIL apporte une limite à un processus de codage des difficultés sociales des personnes, nécessairement subjectif et réducteur, et qui impose un formatage de la pratique des assistants sociaux peu compatible avec l’hétérogénéité des parcours des personnes et la singularité de la situation de chacun.
– L’apport déterminant de la délibération tient à la réaffirmation d’un principe essentiel de la loi informatique et libertés concernant la finalité du traitement (principe d’interdiction de tout traitement ultérieur des données « incompatible avec les finalités pour lesquelles elles ont été collectées »). En l’espèce, la CNIL a relevé que la nouvelle finalité dite de « pilotage de l’activité » était destinée à mesurer et comparer l’efficience des services sociaux et à attribuer des primes d’intéressement aux personnels en fonction de ces résultats ; ceux-ci étant constitués à partir des données personnelles recueillies auprès des usagers et comportant une appréciation sur le niveau d’atteinte des objectifs découlant des catalogues de problèmes préétablis. La CNIL a estimé à juste titre que « Cette exigence de résultats à court terme est susceptible de conduire les travailleurs sociaux à privilégier le travail le plus visible et directement quantifiable, au détriment d’autres interventions néanmoins nécessaires, afin de permettre la production de résultats conformes aux objectifs qui leur sont assignés. Une telle orientation ne peut qu’appeler de la part de la Commission une réserve de principe au regard de l’article 1er de la loi du 6 janvier 1978 ».
En s’opposant à cette extension de finalité, la CNIL pose un principe essentiel : elle refuse de légitimer la réutilisation secondaire de données personnelles sensibles collectées à l’occasion d’un travail social d’aide sociale à la personne à des fins de contrôle des personnels sociaux et de gestion des services. La CNIL affirme clairement que l’utilisation des données personnelles permettant de prendre en charge les usagers de services sociaux à des fins de contrôle d’activité des personnels est susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes, énoncés à l’article 1er de loi informatique et libertés : le respect de l’identité humaine, des droits de l’homme, de la vie privée, des libertés individuelles ou publiques.
La délibération n°2005-038 du 10 mars 2005 offre en la matière un cadre de référence qui devrait trouver à s’appliquer pour d’autres traitements dans les domaines sociaux (par ex. démarches qualité) ou de la santé (par ex. démarches d’accréditation).
L’intercollectif DELIS salue cette clarification concernant le traitement des données personnelles relatives aux « difficultés sociales » des personnes qui donne la primauté à une informatisation dans le domaine de l’action sociale respectueuse des droits fondamentaux de la personne.
Paris, le 26 mars 2005
D E L I S
Droits Et Libertés face à l’Informatisation de la Société
http://www.delis.sgdg.org – contact@delis.sgdg.org :
Ligue des Droits de l’Homme
Collectif pour les droits des citoyens face à l’informatisation de l’action sociale
A.F.S.M.S. (Association Française des Secrétaires Médico-Sociales), A.M.I.. (Association de Défense des Malades, Invalides et Handicapés), A.N.A.S. (Association Nationale des Assistants de Service Social), A.N.S.F.T. (Association Nationale des Sages-Femmes Territoriales), ATD Quart-Monde, Confédération C.G.T., Fédération C.G.T. des Services Publics, U.G.I.C.T.-C.G.T., Fédération C.G.T. des organismes sociaux, CONCASS (Coordination Nationale des Collectifs des Assistants de Service Social), Fédération SUD-C.R.C. Santé-Sociaux, Fédération SUD collectivités territoriales, C.S.F. (Confédération Syndicale des Familles), Forum 5 (Espace de débat et d’action des travailleurs sociaux), F.S.U. (Fédération Syndicale Unitaire), L.D.H. (Ligue des Droits de l’Homme), S.A.F. (Syndicat des Avocats de France), Syndicat SDU-CLIAS-FSU du Val-de-Marne, Syndicat SDU-CLIAS-FSU de la Seine-St-Denis, Syndicat Inter-FSU de la Haute-Vienne, Syndicat Supap-FSU Ville de Paris, S.M. (Syndicat de la Magistrature), S.N.I.C.S.-F.S.U. (Syndicat National des Infirmières Conseillères de Santé – F.S.U.), S.M.G. (Syndicat de la Médecine Générale -Revue Pratiques), S.N.M.P.M.I. (Syndicat National des Médecins de PMI), S.N.P. (Syndicat National des Psychologues), S.N.P.E.S.-P.J.J.-F.S.U. (Syndicat National des Personnels de l’Education Surveillée PJJ-FSU), S.N.U.A.S.F.P.-F.S.U. (Syndicat National Unitaire des Assistants Sociaux de la Fonction Publique – F.S.U.), S.P.E.N. (Syndicat des Psychologues de l’Education Nationale), S.PF. (Syndicat des Psychiatres Français), U.C.M.S.F. (Union Confédérale des Médecins Salariés de France)
Collectif Informatique, fichiers et citoyenneté
AILF (Association des Informaticiens de Langue Française), CIII (Centre d’Initiatives et d’Informations sur l’Informatisation), CREIS (Centre de Coordination pour la Recherche et l’Enseignement en Informatique et Société), LDH (Ligue des Droits de l’Homme), IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire), Terminal (Revue), Souriez vous êtes filmés, Collectif contre la Cartécole, VECAM (Veille Européenne et Citoyenne sur les Autoroutes de l’Information et le Multimédia)