E/ Laïcité et religions aujourd’hui.
D’une part les religions s’effacent (Marcel Gauchet, « Le désanchantement du monde ») et d’autre part elles s’individualisent (Danièle Hervieu Léger, « Le pèlerin et le converti ») et ceux qui s’en réclament veulent imposer la visibilité de ces religions dans l’espace social de la société civile. D’autre part les fonctions anthropologiques assurées autrefois par les religions établies ne disparaissent pas nécessairement avec elles. Le sens, le sacré, les symboles, l’espoir, l’obligation morale demeurent même lorsque les religions qui prétendaient en la matière à une sorte de monopole se sont effacées. Or d’un côté les religions sont multiples et, d’un autre côté, les non croyants estiment en ces matières avoir voix au chapitre. Le discours complaisant sur l’anomie et les confusions qu’il risque d’entraîner doivent là aussi alerter l’exigence laïque. En particulier nous devons nous interroger sur les valeurs auxquelles nos sociétés sacrifient par une sorte de religiosité implicite et non discutée.
Conclusion provisoire.
Le processus de laïcisation a, dans un premier temps, permis l’autonomie progressive du sujet, de l’école et de l’Etat par rapport à la, puis aux religions. La laïcisation a été le moyen de l’émancipation. La laïcité a été ensuite ce dispositif politique qui permettait de faire coexister harmonieusement une totale liberté de conscience pour les sujets, une entière liberté d’expression dans l’espace civil pour la multiplicité des groupes sociaux, et d’abord des groupes religieux, et l’unité de l’Etat garantie, au bénéfice de tous, par la loi et le droit. Ces dispositions, et les droits qu’elles garantissent, ne peuvent être conservés et s’étendre que si tous les citoyens font preuve en ces matières et simultanément à la fois d’intelligence, d’exigence et de vigilance. Ceux qui sont en charge de l’Etat sont évidemment les premiers responsables. Il semble que de gros progrès restent à faire pour que ce dispositif puisse servir de référence et de modèle, en Europe où il n’est qu’un des nombreux dispositifs de sécularisation et non pas le seul, et dans le monde d’une manière plus global où le mode des religions occidentales risque de nous rendre aveugle devant d’autres problématiques et d’autres solutions.
N. B. Pour le choix du mot sujet plutôt que le mot personne, voir J.-P. Dubois. La référence au personnalisme, en effet, est peu compatible avec les analyses de la L.D.H. Pour le choix du mot sujet plutôt que le mot individu, voir Vincent Descombes, « Le complément de sujet » et la manière dont l’auteur explique qu’à partir du mot individu, l’idée même du lien social ou d’une communauté de citoyens est impossible.
Alain Bondeelle, pour le groupe de travail « Laïcité »