Monsieur Jacques Chirac
Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du Faubourg Saint Honoré
75008 PARISParis, le 20 septembre 2005
Monsieur le Président,
N’est-il pas temps que notre pays reconnaisse officiellement qu’il a eu vis-à-vis de ceux que l’on a l’habitude d’appeler les harkis un comportement indigne de lui ?
• par les promesses qu’il a faites pendant la guerre d’Algérie pour impliquer de son côté des “ musulmans ” à qui il assurait que l’Algérie resterait française quoiqu’il arrive ;
• par l’abandon de ces personnes ainsi que leur famille après le cessez-le-feu de mars 1962 et le refus de les rapatrier, malgré les risques qu’elles encouraient de subir une violence inexcusable mais largement prévisible compte tenu des drames qui avaient marqué cette guerre ;
• par les discriminations inouïes infligées ensuite en France aux rescapés et à leur famille, parqués dans des camps, maintenus en marge de la société, condamnés à des emplois médiocres ou à l’assistanat pur et simple, tandis que leurs enfants subissaient une scolarité amputée.
Ces faits sont advenus dans le cadre de l’histoire coloniale de la France en Algérie, et, pour ce qui est des camps après 1962, de la poursuite de la même logique coloniale sur son propre sol.
Ces réalités du passé, n’est-il pas temps que notre pays les regarde en face ? Comme vous-même, Monsieur le Président, vous avez su inciter notre pays à le faire, lors de votre visite à Madagascar, le 21 juillet dernier, en l’invitant à “ assumer son histoire ” et en évoquant le caractère “ inacceptable ” des “ dérives du système colonial ”. Et comme y invitait, au sujet d’autres faits, les massacres du 8 mai 1945 dans le Constantinois, notre ambassadeur en Algérie, à propos desquels il a parlé, le 27 février dernier à Sétif, de “ tragédie inexcusable ” et ajouté : “ c’est la connaissance lucide du passé et des mémoires diverses, complétée par la vision d’un avenir différent, qui conduit à la tolérance, à la construction de l’espace démocratique et aux valeurs universelles ”.
Dans d’autres moments tragiques de son histoire, vous avez su, Monsieur le Président, reconnaître publiquement les responsabilités de
Parmi les signataires de cette lettre, certains ont approuvé la lutte du peuple algérien pour son indépendance, d’autres non, mais quelle qu’ait été notre opinion, nous ne pouvons admettre que la République ne reconnaisse pas, au regard des droits de l’Homme, ses torts vis-à-vis des harkis et de leurs familles.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de notre haute considération.
Jean-Pierre DUBOIS, Président de la Ligue des droits de l’Homme
SIGNATAIRES de la lettre adressée au président de la République le 20 septembre 2005, au sujet de la situation des anciens harkis et de leur famille.
Ali AISSAOUI, président de l’association UNIR ; Henri ALLEG, journaliste et militant anticolonialiste ; Ali AMRANE, président du Collectif harkis des Alpes-Maritimes ; Mouloud AOUNIT, secrétaire général du MRAP ; Jean-Pierre BACRI, comédien ; Paul BALTA, écrivain ; Patrick BAUDOUIN, président d’honneur de la FIDH ; Fatima BESNACI-LANCOU, présidente de Harkis et droits de l’Homme ; Ali BOUALEM, vice-président de l’association des rapatriés du pays d’Arles ; Smaïl BOUFHAL, Générations mémoire harkis ; Khédidja BOURCART, adjointe au maire de Paris chargée de l’intégration et des étrangers non communautaires ; Dominique CABRERA, réalisatrice ; Boris CYRULNIK, neuropsychiatre, écrivain ; Pierre-Gilles De GENNES, prix Nobel de chimie ;
Paris, le 21 septembre 2005