Cinq Africains sont morts, plusieurs dizaines, voire centaines, sont blessés après avoir tenté de pénétrer dans l’enclave espagnole de Ceuta sur le territoire marocain. L’AEDH constate que, une fois de plus, des migrants, fuyant la pauvreté, la guerre et les conflits politiques, n’ont rencontré d’autre réponse que la violence et la répression des forces de sécurité qui, cette fois-ci en outre, ont fait usage de tirs à balles. Combien de morts aux frontières de l’Union européenne faudra-t-il encore pour que les gouvernements de nos pays et les instances communautaires comprennent l’impasse dans laquelle ils sont en train d’enfermer la politique migratoire européenne ?
Chaque mois apporte son lot de morts de migrants qui ont eu l’audace de croire qu’ils pourraient trouver un lieu où vivre en paix et dans la dignité en Europe. A Ceuta, à Melilla, à Lampedusa, à Malte… ils tentent de pénétrer sur le territoire de l’Union. Certains n’y parviennent jamais, disparus en mer; les autres, rescapés du voyage, ne reçoivent d’autre forme d’accueil que la répression, la violence, l’enfermement, l’expulsion et maintenant la mort. Le nombre des personnes décédées ne cesse d’augmenter aux portes de nos pays, pendant que les experts européens parlent de “partage du fardeau”, de “mesures de securité proportionnées”et de l’“impossibilité d’une solution imminente au niveau européen”.
Le drame de Ceuta apporte la démonstration que la politique migratoire européenne, toute centrée sur la répression pour assurer sa « sécurité », est dans l’impasse. Et, à cet égard, l’AEDH salue favorablement la déclaration de Franco Frattini, commissaire européen à la justice, à la liberté et à la sécurité qui soulignait, jeudi 29 septembre à Bruxelles, que « cette tragédie souligne une nouvelle fois la nécessité urgente d’une gestion authentique et effective des questions de migration », et cela à travers un « dialogue avec les pays tiers » mais également « un système effectif d’asile offrant une protection aux groupes qui en ont le plus besoin ».
Reste que le « dialogue avec les pays tiers » formalisé par la politique de voisinage ne saurait se résumer à un transfert des responsabilités européennes sur les dits pays tiers. L’AEDH conteste particulièrement le principe d’un conditionnement de l’aide au développement à des preuves de « bonne conduite » en matière de lutte contre l’immigration clandestine, comme dans le cas du Maroc. Tandis que l’écart entre les pays riches et les pays en mal de développement s’accroît, on peut juger particulièrement cynique le fait que l’Union Européenne, entende évaluer la situation économique et les besoins de ses pays voisins selon les gages qu’ils donnent dans la lutte contre l’immigration « illégale ».
Une politique migratoire européenne ne saurait non plus prendre la forme d’une externalisation de l’accueil des migrants et demandeurs d’asile dans les pays tiers, à l’image des perspectives de centres en Libye. Et l’on peut estimer que le projet de créer des centres pour mineurs au Maroc, évoqué lors du sommet hispano-marocain qui s’est tenu à Séville, vise sans doute à protéger ces mineurs des réseaux mafieux, mais permettra surtout à l’Espagne de contourner la contrainte résultant de l’accord bilatéral sur le rapatriement des clandestins qui la lie au Maroc et aux termes duquel ces mineurs ne sont pas expulsables. Faut-il rappeler que la Convention internationale des droits de l’enfant fait à chaque signataire obligation d’assurer la protection de tout mineur, qu’il soit national ou étranger, en situation irrégulière ou légale.
Il y a urgence. L’Union Européenne doit sans attendre s’atteler à mette en œuvre une véritable politique d’asile et d’immigration, où l’aide au développement et le respect des droits de l’Homme ne le cède en rien à la nécessaire lutte contre les réseaux mafieux. Il faut que les pays européens en prennent conscience et s’attellent enfin à une réflexion commune pour instaurer une politique d’immigration européenne respectueuse des droits, de l’intégrité physique et de la dignité des personnes.
Bruxelles, le 3 octobre 2005