Dans le procès fait à Charlie Hebdo, la question des identités, des croyances et des communautés interpelle les démocrates et en particulier les défenseurs des droits. Une fois encore, la mise en scène d’un affrontement entre deux visions du monde met mal à l’aise tous ceux qui veulent à la fois garantir les libertés et refuser les préjugés discriminatoires.
Revenons donc aux principes, rejetons les «doubles standards» et gardons la tête froide.
Pas de censure de la presse, pas de semi-liberté d’expression. Le limogeage d’un directeur de journal n’est pas en la matière plus admissible que les menaces et les intimidations. Il y a plus d’un an, la Ligue des droits de l’homme (LDH) publiait un communiqué intitulé «Société libre, presse libre» qui affirmait : «Aucune religion, aucune pensée ne peuvent exiger de bénéficier d’un régime particulier qui imposerait d’autres limites que celles reconnues dans le cadre d’une société démocratique […] la liberté de la presse, en l’espèce la liberté du dessinateur de presse, ne peut dépendre de tel interdit religieux.» Elle maintient intégralement cette prise de position : le procès fait à Charlie Hebdo est un mauvais procès. Et la relaxe demandée par le parquet est la bonne décision.
Pas davantage de mise en cause du droit à
Pas de censure du libre débat : défendre la liberté d’expression n’implique nullement de censurer ses désaccords avec l’expression en cause, sauf à pratiquer précisément ce que l’on dénonce. Or certaines des caricatures en cause étaient non seulement blessantes mais de nature à alimenter des amalgames injustes et discriminatoires. Et le journal danois qui les a publiées l’a fait intentionnellement, dans un contexte national de campagne ouvertement xénophobe. Aucun des organes de presse qui a relayé cette publication ne l’ignorait. Chacun est dès lors comptable de la part qu’il prend sciemment à la diffusion des logiques de «conflit de civilisations».
En démocratie, chaque citoyen a le droit, sous la seule réserve du respect de la loi pénale, d’alimenter ainsi les crispations, et chaque média est libre de peser ses objectifs et ses stratégies. Blesser, provoquer sciemment, c’est prendre la responsabilité de contribuer au choc des aveuglements, alors que le combat pour les Lumières passe au contraire par la distinction entre la critique, toujours libre, et l’injure ou l’amalgame, toujours méprisables.
Tout cela ne relève pas de la censure ni de la correctionnelle, mais du débat démocratique. A condition que les provocateurs n’utilisent pas leur démarche provocatrice pour prétendre échapper à la critique en prenant la pose du martyr. Liberté et responsabilité vont de pair. Démocratie et respect de l’autre aussi.
Paris, le 13 février 2007.