Maurice Papon, complice de crimes contre l’humanité, condamné à dix ans de réclusion criminelle le 2 avril 1998, est mort dans son lit à 96 ans. Le 18 septembre 2002, il avait été libéré au motif qu’il était atteint « d’une pathologie engageant le pronostic vital ». Sorti de prison sur ses deux jambes pour fêter sa libération dans un grand restaurant, il aura ensuite vécu paisiblement et sans l’ombre d’un remords pendant cinq ans.
La LDH n’a pas critiqué cette suspension de peine, car elle considère que les personnes malades ou très âgées n’ont pas leur place en prison dans un Etat respectueux des droits de l’Homme, et que les lois humanitaires doivent s’appliquer même à ceux qui les ont foulées aux pieds.
Comment ne pas avoir cependant une pensée pour les jeunes enfants juifs dont Maurice Papon avait fait dresser la liste afin qu’ils soient envoyés à Auschwitz ? Ces femmes, ces hommes et ces enfants, à qui Papon a osé se vanter d’avoir fourni dans leurs wagons plombés des couvertures et des boissons chaudes par souci d’humanité, n’ont pas, eux, été libérés en considération de risques « engageant le pronostic vital ». Ils ont pourtant survécu nettement moins longtemps à leur arrestation arbitraire que Maurice Papon à sa condamnation…
Comment, surtout, ne pas rappeler qu’au jour de la libération de Papon il restait dans les prisons françaises 2 nonagénaires, 39 octogénaires et 369 septuagénaires, qui n’ont pas bénéficié de la même humanité que le pourvoyeur d’Auschwitz ? Comment oublier qu’on peut toujours vivre une phase terminale du cancer en prison, rester en cellule en ne pesant plus que trente kilogrammes, en tombant chaque nuit de son lit sans être secouru, et qu’il y a encore en détention des vieillards qui ne savent même plus où ils sont ? Comment comprendre le calvaire de Joëlle Aubron comparé à la fin de vie dorée de l’homme qui vient de disparaître ?
Il y a bien trop d’inhumanité dans le monde carcéral français pour que l’on s’indigne d’une mesure de clémence envers un vieillard, si grand criminel ait-il été. Mais il est intolérable que l’inégalité devant la loi soit aussi cyniquement assumée par les pouvoirs publics. Et que la priorité dans cette clémence ait été donnée à un complice de la Shoah, par ailleurs ancien haut fonctionnaire et ancien ministre, en dit long sur le fossé béant qui sépare les discours sur les valeurs républicaines des pratiques gouvernementales.
Paris, le 18 février