Le projet de loi pour la justice de Dominique Perben
Michel Tubiana – Libération – 14 août
On ne peut être surpris, cela avait été annoncé durant la campagne électorale, le gouvernement le met en œuvre : la répression devient l’horizon politique de la France. Rendons justice à ce gouvernement, le terrain avait été largement débroussaillé par son prédécesseur, au point que certaines mesures sont le prolongement direct de celles déjà prises à l’initiative de Daniel Vaillant. Ainsi en est-il des regroupements dans les halls d’immeubles, simplement interdits aujourd’hui et sanctionnés demain. Il serait trop long d’énumérer les motifs d’inconstitutionnalité, les atteintes injustifiées aux libertés ou les incohérences, qui attestent d’une rédaction précipitée, que recèlent les projets des ministres de la Justice et de l’Intérieur; ce dernier n’hésite pas d’ailleurs à intervenir sur les compétences du premier, ce qui est significatif des nécessités de l’heure. En allant à l’essentiel, on peut faire deux constats et relever la logique à l’œuvre. S’agissant de juguler une délinquance venant des « gens d’en bas », il est normal de créer une « justice d’en bas ». C’est ce que seront les juges de proximité, au statut incertain, soumis dès leur nomination aux pressions du parquet et chargés d’un abattage judiciaire allant jusqu’aux mineurs. Justice au rabais aussi que cette accélération de l’accroissement de la procédure de comparution immédiate, qui va permettre d’infliger jusqu’à 20 ans de prison (en cas de récidive) en quelques semaines et sur la seule base d’un dossier de police. La même exigence conduit à allonger les délais de détention préventive et à ignorer les mesures alternatives à la détention. Les mineurs se voient promettre un enfermement « éducatif » auquel même le très sécuritaire Alain Peyrefitte avait mis fin. En écho, le ministre de l’Intérieur, plus directement confronté au terrain, ne se contente pas de mesures quantitatives : il désigne les groupes dangereux : les victimes des trafics d’êtres humains qui sont coupables d’être victimes et qu’il faut expulser (au risque d’ailleurs de s’interdire le démantèlement des réseaux de traite), les gens du voyage qui sont coupables de ne pouvoir s’installer sur des terrains que la loi impose pourtant de créer, les jeunes qui sont coupables d’être, dans nombre de cités, sans lieux de réunion et sans infrastructures sociales, les parents des mêmes qui sont coupables d’être pauvres et donc incapables de s’occuper de leurs enfants, les plus pauvres, enfin, qui sont coupables de mendier…En contre point, rien n’est fait pour dire le refus des discriminations et pour créer les conditions d’une autre vie. L’espoir est interdit. La guerre sociale est-elle déclarée ? A lire ces projets et à voir les débats qui ont entouré le vote de la loi d’amnistie et son cortège de restrictions, on peut se le demander : Il faut stigmatiser ceux qui élèvent un peu trop haut la voix. Ce qui était déjà en germe à la fin de la précédente législature se réalise : il n’est plus temps de s’attaquer à la misère humaine, dont le traitement est abandonné à la charité, ce proxénétisme de la dignité, il faut mâter ceux que l’injustice ou l’inefficacité des politiques mises en œuvre depuis plus de 20 ans ont laissé sur le bord de la route. Moralement inacceptables, ces mesures seront, de plus, dénuées d’efficacité, sauf, bien entendu, si l’on considère que remplir les prisons est l’objectif de toute une société. Les projets du gouvernement prétendent assurer la sécurité des citoyens, des riches comme des pauvres; ils conduisent, en fait, à postuler l’insécurité de quelques millions de personnes présentées comme dangereuses a priori, en raison de leur situation sociale. Comment comprendre autrement cette pénalisation d’urgence et accrue de la pauvreté, alors qu’à l’inverse, une commission prendra le temps qu’il faut pour décortiquer les conditions dans lesquelles la responsabilité éventuelle du président de la République pourra être mise en cause ? Qu’y a-t-il de plus insupportable que cette emphase des nantis qui transforme la paix sociale en une morale d’un pouvoir, confisqué à leur seul profit ? Prétendre commander l’ordre et la sécurité à ceux que l’on plonge dans le désordre d’une vie sans avenir, c’est s’exposer à la pire des révoltes, celle de ceux qui n’ont rien à construire et donc rien à perdre.